Toutes les semaines, Libération fait le point sur l'actualité du marathon électoral qui doit décider du candidat démocrate à la Maison Blanche. Pour lire l'épisode précédent, c'est ici.
Headlines
• La semaine a été riche sur le front des primaires démocrates. Joe Biden a d'abord largement remporté la primaire de Caroline du Sud samedi dernier, puis surtout dix des quinze scrutins organisés lors du Super Tuesday, dont le Texas, contre quatre (dont la Californie) pour Bernie Sanders.
• La performance de l'ancien vice-président de Barack Obama doit beaucoup à ce qu'il s'est passé entre samedi et mardi : les défections de deux autres candidats centristes, Pete Buttigieg et Amy Klobuchar, qui ont apporté leur soutien à Biden. Le Super Tuesday a réduit les primaires à un duel Sanders-Biden, avec avantage pour le moment au second.
• Les autres candidats en ont pris acte : Michael Bloomberg, vainqueur des seuls caucus des Samoa américaines après avoir englouti un demi-milliard de dollars de sa fortune personnelle en publicités de campagne, s'est retiré de la course pour apporter son soutien à Joe Biden mercredi. Elizabeth Warren l'a imité jeudi, mais elle devrait plutôt soutenir Sanders.
• Le duel pour l'investiture démocrate continue dès mardi : six Etats votent pour élire 352 délégués, soit 9% du total national, dont le Michigan (125) et le Washington (89). B.B.
Greetings from… Dallas (Texas)
Cette semaine, le billet de notre envoyé spécial aux Etats-Unis, Frédéric Autran.
Mardi, 14 heures, Dallas. Pour voter à la bibliothèque municipale d'Oak Lawn, quartier nord de la ville, il faut patienter une heure dans la file d'attente qui s'étire jusqu'au parking. «Je ne comprends pas qu'on soit incapable d'avoir une meilleure organisation», soupire Josh, la vingtaine, en pressant le pas vers sa voiture. Cet infirmier vient de voter et s'excuse de ne pas avoir le temps de nous parler : «Je dois vraiment retourner travailler.» On souligne souvent que la participation est faible aux Etats-Unis (55,7% à la présidentielle de 2016, contre 77,7% au premier tour en France en 2017). Mais combien d'électeurs français renonceraient à voter s'ils devaient patienter une, trois voire cinq heures, comme cela a été le cas dans certains bureaux du Texas ou de Californie ? Illustration criante d'un système électoral archaïque, dysfonctionnel et discriminatoire.
Car ces files d'attente ne sont en général ni un hasard ni le fruit de bugs techniques, mais la conséquence d'une stratégie de voter suppression, utilisée par les Républicains pour décourager voire empêcher le vote des minorités et des pauvres. Cette pratique prend de multiples formes : barrières administratives, déchéance du droit civique des détenus et ex-détenus, fermeture ciblée de bureaux de vote. Depuis une décision de 2013 de la Cour suprême (Shelby County v. Holder) diminuant considérablement la supervision fédérale sur ce sujet, les autorités républicaines du Texas n'ont cessé de prendre des mesures pour entraver l'expression du suffrage des minorités. Selon un récent rapport, le Lone Star State a ainsi fermé environ 750 lieux de vote depuis 2012, dont plus des deux-tiers dans des comtés où la population noire et hispanique avait fortement progressé. De quoi transformer l'exercice du vote, qui plus est un mardi, jour travaillé, en parcours du combattant. Et c'est exactement le but recherché. Ainsi va la démocratie en Amérique. F.A.
Top charts
Hormis leur âge et la fonction qu'ils briguent, Joe Biden et Bernie Sanders n'ont pas grand-chose en commun. «J'aime bien Joe, je pense que c'est un homme bien. Joe et moi avons souvent voté différemment et avons une vision très différente pour l'avenir de notre pays», a résumé mercredi Sanders. Au-delà de leurs divergences idéologiques, les deux hommes séduisent aussi des électeurs très distincts. Les sondages de sortie des urnes du Super Tuesday le confirment : chacun tire sa force de deux segments démographiques – les Afro-Américains et les seniors pour Biden, les hispaniques et les moins de 30 ans pour Sanders. Le fossé générationnel est le plus net. Au Texas, Sanders a ainsi remporté le vote jeune avec 54 points d'avance sur Biden, qui a de son côté empoché celui des seniors par 30 points d'écart. On observe par ailleurs que les deux critères – âge et ethnicité – se renforcent. 89% des électeurs afro-américains de plus de 65 ans ont par exemple voté Biden en Virginie, alors que 84% des jeunes Latinos ont choisi Sanders en Californie. De tels écarts pourraient compliquer le rassemblement derrière le futur vainqueur. Autre enseignement : dans tous les Etats qui disposaient de sondages de sortie des urnes en 2016 et en 2020, le pourcentage de moins de 30 ans parmi les votants a diminué. Une mauvaise nouvelle pour Bernie Sanders, dont la stratégie repose largement sur sa capacité à (re)mobiliser les jeunes. F.A.
Ca$h
A défaut d'avoir obtenu l'investiture démocrate, Michael Bloomberg aura marqué de son empreinte ces primaires 2020. En tentant l'impasse sur les «early States» pour tout miser sur le Super Tuesday ; en y remportant un seul scrutin, les caucus des Samoa américaines, dont beaucoup d'Américains ont appris l'existence à cette occasion ; et surtout en engloutissant plus d'un demi-milliard de dollars (de sa fortune personnelle) en à peine trois mois de campagne, la majeure partie dans des publicités télévisées. Un constat qui fait relativiser l'équation «$ = votes» à laquelle est parfois résumée la politique américaine – même si, restons lucides, aucun candidat à la Maison Blanche n'a la moindre chance sans un solide appui financier. Mais pour nombre de médias américains, la leçon de ce Super Tuesday c'est qu'un Blitzkrieg de publicités à la Bloomberg ne permet pas d'«acheter» assez de voix pour mettre à mal une notoriété politique longue de plusieurs décennies telle celle de Biden, qui a remporté mardi des Etats où il avait émis peu d'ads et où il n'avait parfois même pas fait campagne en personne. Le Washington Post s'est même amusé à compter combien chaque voix avait «coûté» en publicités à Bloomberg : 220$ le bulletin de vote dans le Minnesota (13 millions dépensés), 180$ au Texas, 170$ en Californie, ou un plus rentable 60$ dans le Colorado. En marge de son désistement de la primaire, Michael Bloomberg a indiqué qu'il allait continuer à financer des campagnes publicitaires, dans le but unique désormais de faire perdre Donald Trump. B.B.
On air
Dans la course à l'investiture de son parti, dont il demeure la figure tutélaire quoique très discrète, Barack Obama met un point d'honneur, pour l'instant, à rester neutre. Cela n'a pas empêché nombre de candidats de diffuser des publicités mettant en scène des propos laudateurs (et souvent anciens) de l'ex-Président à leur encontre. Joe Biden l'a fait, bien sûr, lui qui ne cesse de rappeler sa proximité avec son ancien boss. Mais aussi Elizabeth Warren, Michael Bloomberg ou Tom Steyer. Bernie Sanders, pas toujours tendre avec un Obama trop centriste à ses yeux, n'avait pas osé. Mais son mauvais Super Tuesday, au sein notamment de l'électorat afro-américain, l'a visiblement convaincu qu'il était temps. Mercredi, sa campagne a donc publié une publicité de 30 secondes. Barack Obama y salue «l'authenticité», la «passion» et le courage de Sanders. Les gens «veulent quelqu'un qui se battra pour eux. Et ils trouveront cela en Bernie», ajoute-t-il.
Des propos réels, mais soigneusement montés et sortis de leur contexte. Une partie remonte notamment à 2006 quand Obama, simple sénateur de l'Illinois, était venu soutenir Sanders dans le Vermont. Trompeuse à défaut d'être mensongère, cette pub a suscité moqueries et critiques, notamment chez les alliés de l'ancien président. Barack Obama a lui réagi comme il le fait depuis trois ans : par le silence. F.A.
Backgrounds
Tous les quatre ans, la même question : que deviennent les délégués remportés par les candidats ayant jeté l'éponge ? Si la question revient si souvent, c'est parce que la réponse est loin d'être simple. Théoriquement, les délégués sont pledged, c'est-à-dire engagés, promis aux candidats pour qui ils ont été élus. Mais l'histoire est plus complexe, car ils n'ont en fait aucune obligation légale. Sauf que les équipes de campagne ont un droit de veto sur le choix des délégués, ce qui incite les heureux élus à être fidèle au moment de voter à la Convention démocrate, en juillet. Du moins au premier tour : normalement, c'est aussi le dernier, du moins si l'un des deux candidats encore en lice, Joe Biden ou Bernie Sanders, obtient la majorité absolue des délégués nationaux. Ce scénario est devenu probable avec l'abandon des autres candidats ces derniers jours. Mais une course très serrée jusqu'au bout laisse encore possible l'hypothèse d'une «convention ouverte», inédite depuis plus d'un demi-siècle. Sans majorité absolue pour Biden ou Sanders au premier tour, il s'en tiendra un deuxième au cours duquel chaque délégué pourra voter pour qui il veut, que ce soit ceux des deux candidats encore en lice, mais aussi les 27 de Buttigieg, les 70 à 80 de Bloomberg, etc. Une foire d'empoigne garantie, d'autant que s'ajouteraient alors aux votes des 3 979 délégués pledged élus lors des primaires ceux de 771 délégués unpledged, pour l'essentiel des dirigeants et des caciques du Parti démocrate. Plus pro-Biden que pro-Sanders, a priori. B.B.
Previously…
Le Super Tuesday de début mars est toujours un tournant dans les primaires américaines. Mais il ne permet pas forcément de sceller la course à l'investiture, surtout chez les démocrates, où tous les scrutins se font à la proportionnelle, tandis que les républicains recourrent souvent à la règle du winner takes all qui favorise (fortement) les vainqueurs. Il y a douze ans, Barack Obama et Hillary Clinton en étaient sortis dos à dos, comme le soulignait Libération à l'époque : «Il est encore impossible de les départager. [Obama] a déjà remporté plus d'Etats que Clinton (13 contre 8), mais les circonscriptions gagnées par la sénatrice lui apportent davantage de délégués.» Mais Philippe Grangereau, correspond du journal à Washington à l'époque, soulignait déjà qu'Obama «dispose de cet élan que les Américains appellent momentum», et qui allait le mener jusqu'à la Maison Blanche.
En 1992, Bill Clinton avait lui pris un avantage décisif lors des scrutins du 10 mars, alors qu'il était concurrencé jusque-là par Paul Tsongas. «Bill Clinton a gagné dans tous les Etats du Sud où il était largement favori, mais avec des marges à l'ampleur inattendue, écrit Pierre Briançon dans Libé le 12 mars 1992. Clinton a refusé de considérer comme acquise sa nomination, mais les chances de ses deux adversaires restants ont été de fait considérablement réduites.» Celui qui était alors gouverneur de l'Arkansas avait pourtant vu sa candidature mise à mal quelques semaines auparavant par des accusations d'adultère avec la chanteuse Gennifer Flowers. «Il reste encore six longs mois pour juger si Bill Clinton pourra faire preuve jusqu'au bout des étonnantes qualités de survivant combatif qu'il a démontrées depuis que les premières rumeurs, puis les attaques directes, ont commencé de se préciser contre sa personnalité. […] Clinton espère avoir vu, et écarté le pire.» Six ans plus tard éclaterait l'affaire Monica Lewinsky. B.B.