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Dette

Le Liban s'enfonce dans la crise économique

L'Etat est censé payer lundi 1,2 milliard d'Eurobonds de dettes, mais les caisses sont vides, ce qui laisse craindre le pire. La population en colère s'attend à vivre une période très difficile.
Une banque aux vitrines cassées par des manifestants, à Beyrouth, le 6 mars. (Photo : Joseph Eid. AFP)
publié le 7 mars 2020 à 10h24

L’heure est au remboursement. Conspués depuis cinq mois par la population qui accuse la classe politique d’avoir mené le pays au bord de l’effondrement, c’est aux créanciers que les dirigeants libanais doivent cette semaine rendre des comptes. Très lourdement endetté, l’Etat est appelé à honorer lundi le paiement d’une tranche de 1,2 milliard d’Eurobonds. Or les caisses sont vides.

Le spectre du défaut de paiement et de ses conséquences potentiellement dramatiques sur les habitants plane sur le pays. Les épargnants vivent désormais dans la hantise d'un «haircut», à savoir la ponction pure et simple de leurs dépôts. Layal, 27 ans, est hors d'elle. «Cela fait deux ans que j'économise pour financer la reprise de mes études à l'étranger. Mais je ne peux plus retirer mon argent. J'ai peur de tout perdre», fulmine cette ingénieure électrique. Les établissements bancaires ont, depuis le mois d'octobre, drastiquement limité les retraits et interdits les transferts d'argent, pour prévenir une fuite massive de capitaux. «Les gens qui ont encore leur argent dans les banques ont une peur bleue de ce qui va se passer», constate Bassam, un homme d'affaires. Les inquiétudes vont crescendo en parallèle sur le sort de la livre libanaise dont la dévaluation de facto depuis six mois a plombé le pouvoir d'achat de la population.

Le nouveau gouvernement devrait dévoiler samedi le cap qu'il s'est fixé pour faire en sorte que le pays redevienne solvable. En attendant, et alors que la contestation s'est essoufflée depuis le début de l'année, quelques irréductibles activistes battent encore le pavé devant les symboles du pouvoir. «C'est aux corrompus de payer les dettes, pas à nous», lance Faycal, un professeur d'économie, venu protester avec un petit groupe de militants devant le siège de l'Association des banques libanaises. Une dizaine de policiers stationnent devant la façade du bâtiment criblée de graffitis. «Il n'y a pas de solution. A moins que l'on rende tout l'argent volé qui est hors du pays. Les fonds qui sont à la Banque centrale ne suffisent plus», assure Tarek, barbe noire fournie et blouson en cuir. «La livre va encore se dévaluer et les salaires ne vaudront plus rien», prédit le manifestant.

Le ressentiment contre les banques est d'autant plus grand que de grosses fortunes du pays seraient parvenues ces derniers mois à braver les interdictions de transfert, bénéficiant de la complaisance de certains établissements bancaires. En guise de sanction, le procureur financier a annoncé jeudi soir le gel des avoirs des vingt plus grandes banques du pays et des présidents de leurs conseils d'administration. Cette annonce fracassante a aussitôt suscité une levée de boucliers de la part des établissements concernés et de l'opposition. Le Premier ministre sortant Saad Hariri a fustigé une mesure «populiste» digne des «régimes totalitaires». Le procureur général a finalement suspendu quelques heures plus tard cette décision. «Une telle mesure risque de plonger le pays et son secteur financier dans le chaos», a justifié le juge Ghassan Oueidat. Un cafouillage qui en dit long sur la débâcle d'une classe politico-financière profondément divisée à l'heure des choix difficiles. Un éventuel apport financier du Fonds monétaire international (FMI) reste catégoriquement rejeté par le Hezbollah, qui refuse de voir le pays placé sous tutelle des Etats Unis, son ennemi juré.

Plusieurs options sont sur la table. Soit le pays fait défaut, soit il s'oriente vers une restructuration ou un rééchelonnement négociée de sa dette. Il pourrait également obtenir un court sursis. Quel que soit le scénario retenu, la population s'attend dans tous les cas à payer le prix fort. Mohammad, employé d'une compagnie d'assurances, n'est plus rémunéré depuis trois mois. «Que l'on paie les Eurobonds ou pas, la situation va empirer», pense ce trentenaire. Dans les rues du pays règne une atmosphère de faillite. Quelque 220 000 emplois se sont évaporés depuis octobre, selon les estimations d'un institut de sondage local. Le long des trottoirs, les devantures de commerces ayant fermé leurs portes se font de plus en plus nombreuses. Les projets immobiliers sont à l'arrêt. Sur certains chantiers, les grues sont immobiles depuis des semaines. À l'approche de l'échéance, les signaux avant-coureurs d'un crash annoncé se sont multipliés. La livre a encore perdu plus de 40% de sa valeur sur le marché noir, frôlant jeudi 2 700 livres pour un billet vert. La Banque centrale est intervenue vendredi pour plafonner ce taux à 1 950, prévenant que toute infraction serait passible de poursuite judiciaire. Les agences internationales de notation ont encore dégradé la note du pays. L'entrepreneur Bassam est pessimiste : «Quoi qu'ils décident, ça va faire très mal. Ils vont augmenter la TVA, prendre des mesures difficiles. Pour moi, la crise ne fait que commencer».