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Libération

En Israël, sur les traces du jeune Bernie Sanders

publié le 9 mars 2020 à 20h46

L’usine grisâtre : c’est la première chose qu’on remarque, avec ses épis de blé peints sur la façade dans le plus pur style soviétique. La seconde, ce sont les petits vieux qui déboulent de partout en voiturettes de golf, direction la cantine. Et l’on se dit que l’un de ces chétifs kibboutzniks septuagénaires pourrait s’appeler Bernie Sanders.

Car le candidat à la primaire démocrate, qui souhaite devenir «le premier président juif» de l'histoire des Etats-Unis, a passé quelques mois ici, à Sha'ar HaAmakim, en 1963. C'est là que le natif de Brooklyn a fait l'expérience spartiate de l'idéal kibboutznik. Au programme : réveil à l'aube, traite des vaches et avènement du «juif nouveau» par le travail de la terre.

Responsable des volontaires dans les années 60, Albert Ely, 83 ans, est le seul ancien à vaguement se souvenir d'un certain «Bernard». «Je ne me rappelle pas l'avoir vu travailler au verger où j'étais, mais ce nom, ça m'est resté», raconte l'affable retraité à barbe blanche et chemise kaki, comme l'uniforme que tous les camarades portaient à la grande époque du kibboutz, «quand le dernier mot de toute discussion était "Staline", haha !» Car Sha'ar HaAmakim était une commune Mapam, affiliée aux Soviétiques. «A l'époque, il n'y avait pas de salaire. Tu avais besoin d'un pantalon, tu allais à l'atelier de pantalons, et on t'en donnait un, le même que le voisin !»

Longtemps, le nom du «kibboutz de Sanders» fut une énigme : le sénateur du Vermont a toujours été elliptique sur son passage en Israël. Mais une archive du journal Haaretz a permis de résoudre le mystère. Ely a trouvé la seule trace laissée par «Bernard» : avoir cosigné l'exposé d'un lycéen du kibboutz sur… «les milliardaires américains et leur influence».

Comme un expert des plateaux télé, Albert Ely déroule ses analyses dans un excellent français (étudié au lycée français du Caire) : «Je vous répète ce que j'ai dit à CNN : il ne peut pas gagner parce qu'il est socialiste, c'est comme ça aux Etats-Unis.»

Fondé en 1935 par des Roumains et des Yougoslaves, et privatisé, comme tant d'autres, au début des années 2000, où en est le kibboutz politiquement ? «Je veux croire qu'on est toujours de gauche, rit l'octogénaire. Ce qui a changé, c'est qu'avant, on avait de l'influence. L'idéologie kibboutz était à la tête de l'Etat. Aujourd'hui, l'homme de gauche en Israël est un "traître".» Récemment, Sanders a fait des vagues en traitant Nétanyahou de «raciste réactionnaire». «Il y est allé fort, mais c'est pas faux !» valide Ely. Il y a quelques années, le kibboutz a frôlé la faillite. L'Etat a racheté une partie des champs et vergers. Pour ses 400 membres, la cantine est désormais payante. Nombreux sont ceux qui travaillent à l'extérieur, tout en payant une cotisation. «Chacun fait sa vie, conclut Ely. Mais chacun reste responsable de son voisin.» Presque un slogan de Sanders.