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Italie : «Les malades du coronavirus occupent presque toutes nos unités de soins intensifs»

Dans un pays désormais totalement confiné pour tenter contenir la propagation de l’épidémie, trois habitants, dont une médecin, racontent l’ambiance particulière qui règne autour d'eux.
La place du Duomo, à Milan, ce mardi. (MIGUEL MEDINA/Photo Miguel MEDINA. AFP)
publié le 10 mars 2020 à 15h55

En Italie, tout peut basculer en un rien de temps. Dimanche, le gouvernement italien décrétait le confinement d'un quart de sa population dans le nord du pays, foyer de contagion du nouveau coronavirus. Moins de quarante-huit heures plus tard, c'est l'ensemble du territoire, soit environ 60 millions d'habitants, qui est désormais placé en quarantaine pour tenter d'enrayer la propagation du virus. Des mesures d'une sévérité inédite ont été prises par le gouvernement de Giuseppe Conte.

Avec 9 172 contaminations et 463 décès, l'Italie est le deuxième pays le plus touché par l'épidémie de Covid-19 après la Chine. «Plus de temps à perdre» pour le président du Conseil, Giuseppe Conte, qui a ordonné lundi soir une «interdiction de rassemblement» dans toute la péninsule. Idem pour les déplacements qui sont à proscrire sauf «impératifs professionnels dûment vérifiés et à des situations d'urgence, pour des raisons de santé». Côté sport, toutes les compétitions sportives sont suspendues pour trois semaines a minima.

Dans tout le pays, la fermeture des théâtres, cinémas, musées et autres lieux de rassemblement avait déjà été décrétée dimanche. De même que les écoles et les universités qui rouvriront le 3 avril. Trois Italiens racontent l’atmosphère qui s’est dégradée jour après jour, de l’apparition du premier cas de coronavirus à la mise sous cloche de l’ensemble du pays.

Anna (1), 28 ans, interne dans un grand hôpital, Milan

«Il était temps que l’Italie se protège. Les gens doivent maintenant se rendre compte que la situation est critique. Saturés, les hôpitaux des villes autour de Milan nous renvoient leurs patients. Nous sommes débordés. Dimanche, la salle d’urgence était pleine. De l’extérieur, j’entendais les bruits de toux et la respiration bruyante des malades : une scène terrible. Souvent, ils ont besoin d’une assistance respiratoire. Devant cet afflux massif, nous manquons de respirateurs artificiels.

«Nous en sommes à un point où les anesthésistes du pays ont envoyé une directive pour soigner en priorité les jeunes car les plus âgés ont moins de chance de s’en sortir. Ce choix est insupportable. Mais ces médecins spécialisés en réanimation ne sont pas assez nombreux. Pour les soutenir, tous les infirmiers sont appelés à rejoindre leur service. Dans le mien, en neurochirurgie, nous serons bientôt mobilisés même si ce n’est pas notre cœur de métier, d’où la crainte de mes collègues.

«Les malades du coronavirus occupent presque toutes nos unités de soins intensifs. C’est un problème pour les autres cas d’urgence : une personne qui arrive polytraumatisée ou victime d’un infarctus ne pourra pas être opérée, faute de places. Nous manquons aussi de tests de dépistage. Priorité est donnée à ceux qui présentent des symptômes. Parmi le personnel soignant, certains sont contaminés. Personnellement, je n’ai pas pu être diagnostiquée donc je ne sais pas si je suis porteuse ou pas du virus. Je vis avec mes parents et, par précaution, je leur ai dit il y a quelques jours d’aller dans notre résidence secondaire, ailleurs en Lombardie, le temps que ça se calme.»

Nunzio Porrometo, 60 ans, responsable de salle dans un restaurant, Milan

«On ne pensait pas qu’une ville comme Milan serait mise en quarantaine, encore moins que tout le pays allait suivre. C’est une restriction très sévère mais compréhensible pour le bien de tous. Lorsque le virus est apparu en Italie, trop de personnes ont pris le problème à la légère. Dès le début, ma femme et moi, avons pris nos responsabilités : nous vivons avec sa mère de 86 ans, fragile, qu’il faut protéger.

«Depuis deux semaines, on se limite à des sorties tous les trois jours pour faire les courses. Dans les supermarchés, nous portons un masque, des gants et gardons nos distances avec les autres. On veille aussi à bien se laver les mains quand on rentre à l’appartement. Nous avons stocké quelques paquets de pâtes, de la farine et des produits surgelés au cas où nous ne pourrions plus du tout sortir. Il y a une semaine, le patron du restaurant où je travaille a décidé de fermer jusqu’à nouvel ordre. Je suis au chômage technique. Personne ne s’attendait à vivre une telle situation mais il faut que toute la population comprenne que c’est grave. La télé nous fait tout de même sourire : les émissions continuent d’être diffusées, mais sans le public.»

Francesca Posca, 27 ans, historienne de l’art, Venise

«Je vis dans une ville fantôme. Lundi, je suis sortie vers 20 heures, j’ai eu l’impression qu’il était deux heures du matin. Venise est normalement dédiée aux touristes. Mais il n’y en a plus depuis trois semaines, après l’annulation du carnaval. De nombreux bars et commerces ont dû fermer. Tout le monde suit à la lettre les mesures du gouvernement. Les supermarchés ne font entrer que quelques personnes à la fois pour respecter le mètre de distance imposé par le décret.

«Chaque jour, la situation change. Samedi, je buvais un verre avec des amies : l’une d’entre elles est vite partie puis a quitté Venise, juste après avoir appris que la région serait confinée. Je suis actuellement en train de suivre une formation et sur 18 personnes, on n’est plus que deux à être encore à Venise. Les autres sont rentrés chez eux. Lundi soir, j’ai dîné avec les quelques personnes qui se trouvent encore ici. Avec la quarantaine instaurée dans tout le pays, ça risque de devenir de plus en plus compliqué, mais c’est une bonne décision pour stopper le virus.»

(1) Le nom a été modifié