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Libération
Récit

Xi Jinping, déjà proclamé en Chine vainqueur de la «guerre du peuple contre le virus»

Le président chinois s’est rendu pour la première fois mardi à Wuhan, d’où est partie l’épidémie. Selon les autorités, le nombre de nouvelles infections est en chute libre dans le pays.
Xi Jinping ce mardi à Wuhan. (Photo Xie Huanchi. AFP)
publié le 10 mars 2020 à 18h56

«L'épidémie est presque jugulée», a déclaré le président chinois mardi, à Wuhan, épicentre du Covid-19. Tout en restant masqué et à bonne distance de ses interlocuteurs, et en discutant avec des malades par vidéoconférence. «Presque» car, selon les chiffres officiels, il reste plus de 20 000 malades du Covid-19 en Chine, et 349 cas suspects. Néanmoins, sur les 80 924 cas recensés dans le pays depuis trois mois, les trois quarts sont considérés comme guéris, et le ministère de la Santé n'a annoncé que 19 nouvelles contaminations au cours des dernières 24 heures, contre 40 la veille et environ 1 500 chaque jour au plus fort de la crise. Les deux hôpitaux de fortune de plus de 1 000 lits, construits en dix jours à grand renfort de publicité, sont toujours en activité, mais les 16 centres de conférences et gymnases réquisitionnés pour accueillir les malades ont été fermés.

Tribut

Depuis l'émergence du Covid-19, c'est la première visite du leader chinois dans le Hubei. La province de 56 millions d'habitants a payé un lourd tribut à la maladie, avec plus de 3 000 morts et 3 000 soignants contaminés. «Les premières étapes des objectifs de stabilisation et de redressement de la situation au Hubei et à Wuhan ont été réalisées. Mais les efforts de lutte contre le virus à Wuhan et la province environnante du Hubei restent ardus», a précisé Xi Jinping, cité par l'agence de presse officielle Chine nouvelle.

Pour le 49e jour consécutif, les 11 millions d'habitants de Wuhan, où le premier malade a été hospitalisé le 8 décembre, n'ont pas le droit de quitter la ville. En revanche, une application pour téléphone portable va délivrer aux autres citoyens du Hubei des codes QR de couleur déterminant leur droit à se déplacer, sans toutefois sortir des limites de la province. Les heureux détenteurs d'un «code vert» (aucun contact avec des cas confirmés ou suspects) pourront bouger librement à condition de ne pas venir de zones «à risque élevé». Les «jaunes» (en contact avec un cas suspect) restent assignés à résidence. Les malchanceux classés «rouge» (cas suspectés ou confirmés) sont contraints à l'isolement. La situation est toujours tendue dans le reste du pays, avec plusieurs centaines de milliers d'habitants confinés à Pékin. Cette situation encore critique n'empêche pas la propagande chinoise d'effrayer la population avec les quelques dizaines de cas importés d'Italie et d'Iran (en général des Chinois qui rentrent au pays), pourtant aisément traçables. «La police vient de frapper à ma porte, m'a interrogé sur mes voyages récents, et a vérifié les tampons sur mon passeport. Ils m'ont expliqué que la plus grande menace était désormais les gens ayant voyagé dans des pays à haut risque», racontait samedi sur Twitter Jared T. Nelson, un avocat de Shanghai.

«Virus japonais»

Pendant ce temps, le Parti communiste peut continuer à réécrire l'histoire, avec Xi Jinping comme vainqueur de la «guerre du peuple contre le virus». Le 27 février, le célèbre épidémiologiste Zhong Nanshan avait déclaré que «le coronavirus pourrait ne pas venir de Chine». Une thèse aussitôt reprise par le ministère des Affaires étrangères et le corps des ambassadeurs. Dans une lettre envoyée à ses ressortissants le 5 mars, l'ambassade de Chine à Tokyo a parlé du Covid-19 comme du «virus japonais». Samedi, Lin Songtian, ambassadeur en Afrique du Sud, affirmait sur Twitter (interdit en Chine) : «Bien que l'épidémie ait d'abord émergé en Chine, cela ne signifie pas forcément que le virus en soit originaire.» La censure d'Etat laisse opportunément proliférer les théories complotistes affirmant que le virus viendrait des Etats-Unis. Et une présentatrice télé a réclamé que «le reste du monde fasse des excuses à la Chine pour les sacrifices qu'elle a consentis».

L’objectif est de faire oublier que le régime a perdu trois précieuses semaines dans la bataille contre la maladie, en censurant l’information, en organisant un banquet de 40 000 familles le 18 janvier à Wuhan, et en laissant 5 millions de Wuhanais partir en vacances alors que l’épidémie était avancée et repérée. La presse officielle multiplie les images de malades remerciant des médecins épuisés mais victorieux, et met l’accent sur la propagation du virus sur la planète et la difficulté des pays démocratiques à freiner l’épidémie, faisant l’impasse sur les conséquences sociales dramatiques de la quarantaine du Hubei, qui fragilise les plus précaires et fait bondir les violences conjugales.

Ras-le-bol

Depuis le vent de colère qui a soufflé sur les réseaux après la mort de Li Wenliang, le médecin puni pour avoir, le 30 décembre, prévenu ses collègues de la dangerosité du virus, le régime met les bouchées doubles pour écraser toute critique. Xu Zhiyong, un juriste qui a appelé dans une lettre ouverte à la démission de Xi Jinping pour ses manquements dans la gestion de la crise, a été condamné lundi à 15 ans de prison pour «subversion». Une partie de l'opinion salue la réponse du pouvoir. Mais une autre laisse sourdre son ras-le-bol. «Les Chinois, les Wuhanais en particulier, ont découvert la lenteur et les problèmes de ce régime, confie une habitante du Hubei. C'est peut-être le début de quelque chose.»