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Libération
Qui face à Trump ?

Primaires démocrates: Biden accentue son avance face à Sanders

A l’issue d’une nouvelle journée de primaires, l’ancien vice-président américain a consolidé sa domination sur son rival dans la course à l'investiture démocrate. Il remporte au moins quatre des six Etats en jeu, dont le Michigan.
Joe Biden et sa femme Jill lors d'un discours à Philadelphie mardi soir. (Photo Brendan McDermid. Reuters)
par Isabelle Hanne, correspondante à New York et Frédéric Autran, envoyé spécial aux Etats-Unis
publié le 11 mars 2020 à 7h03
(mis à jour le 11 mars 2020 à 14h37)

Une semaine après ses larges victoires du Super Tuesday, l'ancien vice-président Joe Biden a confirmé, mardi, son avance dans la course à l'investiture démocrate face au sénateur indépendant du Vermont, le socialiste Bernie Sanders. Le scénario d'une primaire longue et indécise, un temps envisagé, semble désormais se dissiper, même si plus de la moitié des délégués nationaux, qui éliront cet été le nominé lors de la convention du parti, n'ont pas encore été attribués.

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Avec la dynamique qui porte sa campagne depuis la primaire de Caroline du Sud il y a dix jours, véritable charnière dans cette course à l'investiture qui a entraîné une avalanche d'abandons de prétendants à la nomination démocrate et leur soutien, tout comme celui de nombreux cadres du parti, Joe Biden fait désormais figure de grand favori pour faire face à Donald Trump à la présidentielle de novembre. Tôt dans le calendrier des primaires, qui s'étalent jusqu'en juin. Et alors qu'il y a deux semaines à peine, sa candidature était considérée comme moribonde, après ses mauvais scores dans les premiers Etats.

Biden enfile le costume de nominé

Sur les six Etats qui votaient ce mardi, quatre ont été remportés par Biden. Dont le gros lot du Michigan, plus généreux pourvoyeur de délégués de la soirée, ainsi que l’Idaho, le Mississippi et le Missouri. Bernie Sanders est lui en tête dans le Dakota du Nord (53% contre 40%). A 14 heures, les deux hommes étaient encore donnés au coude-à-coude dans l’Etat de Washington selon un décompte provisoire.

Sans surprise, l’ancien vice-président de Barack Obama, 77 ans, a écrasé son adversaire dans le Mississippi (81 % contre 15 %), et l’a devancé largement dans le Missouri (60 % contre 35 %), porté par le soutien massif des Afro-Américains. Ces résultats creusent l’écart en termes de délégués, donnant une avance de plus en plus confortable à Biden. Si les chiffres sont partiels et provisoires (on ne connaît pas encore le nombre total de délégués attribués mardi dernier pour la Californie, remportée par Sanders), Joe Biden compte désormais 823 délégués, contre 663 pour le sénateur du Vermont. Pour l’emporter dès le premier tour lors de la convention, mi-juillet à Milwaukee (Wisconsin), un candidat doit obtenir la majorité absolue de 1 991 délégués.

Il n'empêche : Joe Biden semblait déjà avoir enfilé le costume de nominé, lors de son discours, mardi soir, depuis Philadelphie (Pennsylvanie) où se situe son QG de campagne. Les deux candidats ont dû annuler leurs gros meetings prévus dans l'Ohio, Etat qui vote la semaine prochaine, à la demande des autorités sanitaires pour lutter contre la propagation du coronavirus. «Il semble que nous allons avoir une autre bonne soirée !» a lancé Biden dans une salle seulement peuplée de journalistes et de membres de son staff. Rappelant que «le retour de l'âme de cette nation» se jouait à l'élection de novembre, il a tendu la main à son adversaire, comme si la défaite de celui-ci était entérinée. Et appelé au «rassemblement du parti» «Il y a une place dans cette campagne pour chacun d'entre vous», a insisté Biden, avant de remercier Sanders et ses supporters «pour leur énergie infatigable et leur passion : nous avons le même but et ensemble, nous battrons Donald Trump».

Bernie Sanders, lui, ne s'est pas exprimé. Mais l'élue de New York Alexandria Ocasio-Cortez, figure de la gauche américaine qui avait apporté un soutien décisif au sénateur du Vermont après sa crise cardiaque en octobre, n'a pas caché sa déception : «Ce n'est pas possible d'édulcorer [ces résultats], a-t-elle reconnu lors d'un live sur Instagram. Ce soir est une soirée très difficile électoralement.»

Michigan : une victoire pour Biden… et les démocrates

Quatre ans après sa victoire surprise dans le Michigan face à Hillary Clinton, Bernie Sanders espérait l'emporter à nouveau dans cet Etat clé du Midwest, gros lot de ce mini-Super Tuesday. Un pari raté, et assez largement, puisque Joe Biden, sur 99 % des votes comptabilisés, compte plus de 16 points d'avance et l'emporte dans tous les comtés du Great Lakes State. Outre une confirmation des tendances observées dans les précédentes primaires (soutien massif des jeunes pour Sanders, des électeurs noirs pour Biden), le Michigan livre des enseignements intéressants sur deux autres franges de l'électorat : les indépendants et les blancs non diplômés, qui avaient fortement contribué à la victoire de Sanders en 2016 mais l'ont en partie délaissé cette année, précipitant sa défaite.

Il y a quatre ans, Sanders avait remporté le vote des indépendants avec quarante points d'avance sur Hillary Clinton. Un écart tombé à sept points face à Biden dans cette catégorie qui représente environ 30 % des votants, selon les sondages de sortie des urnes réalisés par Edison Research. Chez les électeurs blancs non diplômés, qui constituent plus du tiers des votants, Biden l'emporte avec sept points d'avance, alors que le sénateur progressiste l'avait emporté avec 15 points d'écart en 2016.

Au-delà des candidats, la primaire du Michigan apporte un motif de satisfaction majeur à l'ensemble des démocrates : plus d'un million et demi de personnes y ont pris part, contre 1 180 000 il y a quatre ans. Une augmentation très nette de la participation de bon augure dans un Etat que Trump avait fait basculer de justesse dans l'escarcelle républicaine en 2016 (10 704 voix d'avance sur Clinton, soit 0,23 %) et que les démocrates devront reconquérir pour battre le président sortant. Dans le Macomb County au nord de Détroit, où vivent de nombreux ouvriers de l'automobile, un comté remporté confortablement par Obama en 2008 et 2012 puis conquis par Trump, la participation aux primaires démocrates a par exemple bondi de plus de 25 %.

Unité, changement et coronavirus

Les primaires de mardi n'ont fait que confirmer les forces et faiblesses de chacun des candidats, et ce qui les sépare. L'âge d'abord, principale ligne de fracture : les moins de 30 ans plébiscitent Bernie Sanders, aîné de la course à 78 ans (77 % dans le Michigan, 70 % dans le Missouri) alors que les plus de 65 ans choisissent massivement Joe Biden (73 % dans le Michigan, 81 % dans le Missouri). L'ancien vice-président compte en outre sur le soutien d'une très forte majorité de l'électorat noir : 66 % dans le Michigan, 72 % dans le Missouri et jusqu'à 81 % dans le Mississippi. Avec de tels écarts, confirmés scrutin après scrutin, il semble impossible pour Bernie Sanders de remporter la nomination, même avec un soutien (moins marqué) des Latinos.

Aux yeux des électeurs interrogés, Joe Biden et Bernie Sanders disposent par ailleurs de qualités, et incarnent des visions, profondément différentes. En caricaturant, les démocrates choisissent entre la stabilité de Biden ou le changement de Sanders. Dans le Michigan par exemple, parmi les votants dont la priorité était de choisir un candidat capable «d'apporter le changement nécessaire» aux Etats-Unis, 61 % ont voté pour Bernie Sanders. A l'inverse, pour les démocrates voulant avant tout un candidat capable «d'unir le pays», 82 % ont choisi Joe Biden.

Enfin, en ces temps de coronavirus, Biden a peut-être bénéficié de son expérience de vice-président et de son image d'homme d'Etat. Selon les sondages de l'institut Edison Research, la moitié des électeurs démocrates du Michigan, et 60 % de ceux du Missouri, font davantage confiance à Biden pour gérer une crise majeure. Ils ne sont que 30 % à faire davantage confiance à Bernie Sanders.

Et maintenant ?

A l’exception notable de la sénatrice du Massachusetts Elizabeth Warren, qui ne s’est pas prononcée, tous les ex-candidats de premier plan à l’investiture démocrate se sont rassemblés derrière Joe Biden. Même l’entrepreneur Andrew Yang, dont de nombreux partisans se sont tournés vers Bernie Sanders, a annoncé qu’il soutenait l’ancien vice-président sur le plateau de CNN mardi soir, chaîne pour laquelle il fait désormais office de commentateur. Bernie Sanders se retrouve bien seul, et déjà poussé par le clan Biden à trancher : doit-il s’accrocher, ou jeter l’éponge ?

L'affaire était déjà pliée pour l'élu de Caroline du Sud James Clyburn. Soutien de poids à Biden, il a affirmé sur la NPR que si Sanders ne remportait aucun Etat mardi, le Democratic National Committee devrait «mettre fin à ces primaires» et annuler les débats restants. Le prochain, prévu dimanche dans l'Arizona, doit être le premier face-à-face des deux hommes sur l'estrade, désormais vidée des autres prétendants. Mardi prochain, quatre gros Etats doivent voter : Arizona, Floride, Illinois et Ohio, où 577 délégués en cumulé seront attribués, soit plus que ce mardi.

Difficile de voir, pour l'heure, comment Sanders et ses partisans, une coalition extrêmement active et dynamique, pourraient rallier Joe Biden. Les deux candidats ont fondé leur campagne sur des analyses très contrastées, voire irréconciliables, de l'élection de Trump en 2016. Là où Bernie Sanders voit dans la victoire du milliardaire républicain l'expression de la colère des laissés-pour-compte d'un système profondément inégalitaire, Joe Biden, lui, y voit un accident de l'histoire, auquel il faut répondre par un «retour à la normalité».