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Libération
Corruption

Coup de filet spectaculaire contre des juges corrompus en Slovaquie

Treize magistrats ont été arrêtés hier. Ils sont soupçonnés d'avoir reçu des pots-de-vin de la part de l'homme d'affaire mafieux Marián Kočner, qui est aussi l'homme accusé d'avoir commandité le meurtre du journaliste d'investigation Ján Kuciak il y a deux ans.
Marián Kočner à sa sortie du tribunal, à Pezinok, dans la banlieue de Bratislava, le 19 décembre. (Photo Petr David Josek. AP)
publié le 12 mars 2020 à 16h50

Petit, brun et trapu, Marián Kočner, 56 ans, ne paie pas de mine. Pendant de longues années pourtant, cet entrepreneur à succès inscrit sur les listes antimafia a été l'un des hommes les plus puissants de Slovaquie. Un coup de filet spectaculaire de la police slovaque est venu rappeler mardi matin l'ampleur du contrôle qu'il entretenait sur la sphère politico-judiciaire, et ce jusqu'au plus haut sommet de l'Etat. Au petit matin, 18 personnes, dont 13 juges, ont été arrêtées à leur domicile. Parmi eux figurent Jarmila Urbancová, la vice-présidente de la Cour suprême, et Monika Jankovská, une ancienne secrétaire d'Etat à la Justice, poussée à la démission quand les messages qu'elle échangeait avec Kočner ont été divulgués dans la presse.

Tous sont soupçonnés de corruption, d'abus de pouvoir et d'obstruction à la justice. Ils auraient notamment pris des décisions judiciaires illégales mais favorables à Marian Kočner, en échange de pots-de-vin. La plupart des magistrats arrêtés travaillaient dans les tribunaux de Bratislava. Des cours qui traitent les affaires judiciaires des firmes installées dans la capitale, ce qui est le cas des entreprises de Marian Kočner. Ainsi, Zuzana Maruniaková, juge au tribunal V de Bratislava, avait condamné en 2018 la chaine de télévision privée Markíza à payer 8,3 millions d'euros à Kočner dans une affaire de faux billets à ordre, qui a finalement valu au mafieux une condamnation à dix-neuf années de prison au mois de février dernier.

Conséquences politiques

Dans cette galerie de personnages, émerge aussi un autre nom, celui de Vladimír Sklenka. Vice-président du tribunal I de Bratislava, après une première carrière comme policier puis comme garde du corps auprès d'un ancien ministre de la Justice, c'est un homme clé de l'affaire. En contact régulier avec Kočner via une messagerie cryptée, il est accusé d'avoir fait disparaître des documents qui incriminaient le businessman, pris des décisions en sa faveur, et surtout d'avoir fait pression sur d'autres juges pour qu'ils fassent de même, en échange de rétributions qui s'élèveraient à au moins 150 000 euros. C'est probablement son témoignage qui a permis le coup de filet de mardi.

Le contrôle de la justice slovaque via ces juges haut placés n'était qu'un élément dans le système de corruption de Marián Kočner. Son emprise s'étendait aussi aux dirigeants politiques, comme l'ont notamment montré les enquêtes du journaliste d'investigation Ján Kuciak, assassiné il y a deux ans alors qu'il travaillait sur les liens entre affaires mafieuses et gouvernement. C'est cette impression de toute-puissance qui pourrait avoir encouragé Marián Kočner à franchir un pas supplémentaire, en commanditant le meurtre du journaliste. Emprisonné depuis octobre 2018 pour une affaire de fraude, il est aujourd'hui le principal accusé du procès Kuciak, qui a débuté en janvier, et au cours duquel il a été désigné comme commanditaire par l'un des assassins.

Deux ans après un assassinat qui a ébranlé la Slovaquie, l'affaire et ses multiples ramifications continuent à exposer la corruption qui ronge un pays classé parmi les six plus corrompus d'Europe par Transparency International. Les conséquences politiques notamment de la mort du journaliste sont désormais bien visibles. Après quatorze ans de pouvoir presque ininterrompu, le parti social-démocrate Smer a nettement reculé aux élections législatives du 29 février et laissé la victoire à un parti populiste, qui a fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille.