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Libération

Irak : nouveaux tirs de roquettes sur fond de tensions entre Etats-Unis et Iran

L’attaque qui a tué deux Américains et un Britannique mercredi n’a pas été revendiquée. Washington n’a pas formellement accusé les milices pro-iraniennes, principales suspectes.
Le camion d’où sont partis les tirs de roquettes a été retrouvé à quelques kilomètres de la base de Taji, le 12 mars. (Media Security Cell. AP)
publié le 12 mars 2020 à 20h36

Au moment même où le Congrès votait mercredi soir à Washington une résolution exigeant que le Président demande son autorisation avant de s’engager dans un conflit avec l’Iran, une nouvelle attaque menaçait de relancer les hostilités entre Washington et Téhéran. Une frappe contre une base américaine dans les environs de Bagdad a fait trois morts, dont un soldat et un sous-traitant américains, ainsi qu’un autre soldat britannique, le bilan le plus lourd pour la coalition occidentale en Irak.

Dénégations

Une douzaine d’autres militaires ont été blessés par le tir de ces 18 roquettes Katioucha parties d’un camion retrouvé à quelques kilomètres de la base de Taji. Quelques heures après, des raids aériens contre la ville syrienne de Boukamal, frontalière de l’Irak, ont tué au moins 26 combattants des milices pro-iraniennes du Hachd al-Chaabi, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH).

Etrangement, ce qui pourrait être une étincelle pouvant entraîner une escalade dangereuse a été suivi de dénégations de part et d'autre. Comme la vingtaine d'attaques contre des cibles américaines en Irak depuis octobre, la frappe de mercredi n'a pas été revendiquée. Les milices du Hachd al-Chaabi ont nié leur responsabilité tandis que la milice irakienne rivale des brigades du Hezbollah a salué l'opération, sans toutefois la revendiquer. «Nous prions Dieu de bénir les auteurs de l'opération jihadiste contre les forces d'occupation américaine sur la base de Taji que nous saluons», a déclaré dans un communiqué de la milice qui, dans le même temps, «conseill[ait] aux responsables de l'opération de se déclarer».

«Les auteurs doivent être tenus pour responsables», a réagi le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo. Un porte-parole de la coalition antijihadiste, dirigée par Washington, a affirmé que ni la coalition ni l'aviation américaine n'avaient mené de raid mercredi soir contre les combattants pro-iraniens à la frontière syro-irakienne.

Crainte

Fin 2019, en riposte à la mort d’un sous-traitant américain dans une attaque contre une base dans le nord de l’Irak, des bombardements aériens américains à la frontière irako-syrienne avaient fait 25 morts dans les rangs des supplétifs irakiens de l’Iran. Ceux-ci avaient en retour attaqué l’ambassade américaine à Bagdad, une ultime provocation qui a décidé les Etats-Unis a frappé fort, en assassinant, le 3 janvier 2020, le général Qassem Soleimani, véritable architecte des réseaux d’influence de l’Iran.

La crainte d’un conflit ouvert entre Téhéran et Washington ne s’est pas matérialisée dans l’immédiat, mais l’élimination de Soleimani n’a pas non plus permis aux Etats-Unis de rétablir leur capacité de dissuasion comme l’espérait l’administration Trump.

«Irresponsable»

Jeudi, les responsables politiques et sécuritaires iraniens ne se précipitaient pas pour se répandre en déclarations ou se féliciter de l’attaque. D’autant que l’Iran connaît une très grave crise sanitaire à cause de l’épidémie de coronavirus, qui a tué 429 personnes sur plus de 10 000 contaminations, d’après les chiffres officiels. Même les Gardiens de la révolution, puissante armée qui ne répond qu’au Guide suprême, sont mobilisés, saisissant l’occasion pour redorer leur blason. Leur image a sévèrement et durablement pâti du mensonge sur la cause du crash du Boeing d’Ukraine International Airlines, abattu accidentellement par les Gardiens dans les heures qui ont suivi la riposte iranienne du 8 janvier.

Les Etats-Unis sont eux-mêmes confrontés au Covid-19. «L'administration Trump semble être mal préparée à gérer cette crise et la décision de lancer une escalade des hostilités avec l'Iran, sans bretelle de sortie diplomatique, paraîtrait encore plus irresponsable», juge Barbara Slavin, spécialiste de la relation irano-américaine à l'Atlantic Council. Jeudi, le président américain a dit qu'il n'était pas encore certain que l'Iran soit responsable de l'attaque.

L'Irak s'enfonce dans une impasse politique depuis le mois d'octobre. Le soulèvement populaire qui ne faiblit pas contre les dirigeants du pays vise aussi l'influence iranienne, accusée de bloquer tout processus politique qui lui échapperait. Démissionnaire depuis début décembre, le Premier ministre, Adel Abdel-Mahdi, a dénoncé l'attaque contre la coalition, qu'il a qualifiée de «défi sécuritaire très dangereux». Il s'est engagé à rechercher les auteurs de l'attaque, comme après chaque tir de roquette, sans que les enquêtes n'aboutissent jamais. L'attaque pourrait-elle constituer une opération de diversion de la part de groupes pro-iraniens pour reprendre la main sur Bagdad ? Certains opposants irakiens le pensent.