C’était il y a un mois et demi - autant dire une éternité. Le 12 février, le Dow Jones battait un nouveau record, à 29 551 points. Le cap des 30 000 points semblait à portée de main. Au lieu de ça, l’indice vedette de Wall Street a franchi quelques semaines plus tard, et à la baisse, le seuil symbolique des 20 000 points. Un plongeon de plus de 30 %, conséquence d’une économie en hibernation. Aux Etats-Unis comme ailleurs, la récession est assurée. Reste à en connaître l’ampleur, et si elle débouchera sur une longue dépression. Le plan de relance colossal de 2 200 milliards de dollars sur le point d’être voté à Washington vise à l’empêcher.
Quel est l’impact de l’épidémie sur l’économie américaine ?
Ce jeudi, un premier indicateur va permettre de le mesurer : le département du Travail doit publier le nombre hebdomadaire de nouvelles inscriptions au chômage. Selon Goldman Sachs, le chiffre pour la période du 15 au 21 mars pourrait atteindre 2,25 millions. Soit plus du triple du record historique (700 000 inscriptions) de décembre 1982. Confrontés à un bouleversement inédit, les économistes peinent à en prévoir les conséquences. Lundi, le président de la Réserve fédérale de Saint-Louis a estimé que le taux de chômage dans le pays pourrait atteindre 30 %, et le PIB dévisser de 50 %, au deuxième trimestre. Mais signe que tous les analystes naviguent à vue, leurs prévisions varient fortement : Morgan Stanley voit le PIB chuter de 30 %, Goldman Sachs de 24 % et JP Morgan Chase de 12 %.
Quel impact concret sur les Américains ?
Près de la moitié des Américains bénéficient d’une assurance santé via leur employeur. Pour des millions de salariés déjà ou bientôt licenciés, à la perte de revenus va donc s’ajouter celle de leur couverture médicale. Plusieurs options existent pour la conserver ou en souscrire une nouvelle, mais cela coûte très cher. Selon la Kaiser Family Foundation, spécialisée dans les questions de santé, le coût moyen d’une assurance familiale en 2018 était de 19 600 dollars (environ 18 000 euros), financés à 71 % par l’employeur. Pour la garder, un employé limogé devra la financer intégralement. Pour éviter une hausse majeure du nombre de non-assurés (environ 28 millions aux Etats-Unis), une dizaine d’Etats, surtout démocrates, ont assoupli les règles de souscription aux assurances subventionnées.
La dégringolade des marchés affecte en outre les dizaines de millions d’Américains qui ont investi en Bourse pour leur retraite, notamment via les fameux fonds «401k». Les plus jeunes ont le luxe de pouvoir attendre un rebond futur des indices financiers. Mais les retraités actuels ou imminents, qui ont vu s’effriter en quelques semaines l’épargne de toute une vie, vont devoir réduire leur consommation. De quoi menacer la reprise économique.
Quels filets de sécurité avant la crise ?
La crise du Covid-19 et ses multiples ramifications ont mis en lumière comme jamais les carences du système américain de protection sociale. Le coût des soins (y compris pour ceux ayant une assurance) et l’absence de congé maladie obligatoire ont sans doute contribué à la propagation du virus, en dissuadant des travailleurs malades de consulter ou s’isoler. Les Etats-Unis sont aussi le seul pays de l’OCDE à ne pas garantir de congés payés. Près d’un quart des Américains (et 40 % de ceux à temps partiel) n’en disposent pas, un casse-tête pour la garde d’enfants privés d’école. Quant à l’assurance chômage, elle est peu généreuse. Selon l’OCDE, le taux de remplacement moyen par rapport au dernier salaire atteint 57 % au bout de deux mois aux Etats-Unis, contre 64 % en France et 70 % au Japon. L’allocation hebdomadaire est par ailleurs plafonnée, avec de fortes disparités selon les Etats (240 dollars en Arizona, 504 à New York), tout comme la durée d’indemnisation : vingt-six semaines dans la majorité des Etats, moins dans une dizaine d’entre eux comme la Floride (douze semaines).
Que prévoit le plan de relance ?
Le 18 mars, Donald Trump a promulgué une loi qui accorde notamment deux semaines de congés rémunérés aux salariés malades, en quarantaine ou au chevet d’un proche atteint par le Covid-19. Elle offre également jusqu’à dix semaines de congés payés (avec deux semaines de carence) aux parents contraints de garder un enfant. Cette loi comporte toutefois de multiples failles. Les entreprises de plus de 500 salariés sont exemptées de l’obligation de congé maladie, celles de moins de 50 peuvent obtenir une dérogation. La loi ne protège en réalité que 20 % des salariés.
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Après plusieurs jours d’âpres négociations, la Maison Blanche et les leaders démocrates et républicains au Sénat sont tombés d’accord mardi soir sur un plan de sauvetage de 2 200 milliards de dollars, soit plus de 9 % du PIB des Etats-Unis. Ce texte pouvait être voté dès mercredi au Sénat, avant d’être adopté à la Chambre et promulgué par Donald Trump. Mélange d’aides non remboursables et de prêts, il prévoit 130 milliards de dollars pour les hôpitaux, 250 milliards pour un renforcement massif de l’assurance chômage et 500 milliards pour les particuliers, qui vont recevoir des chèques du Trésor (maximum 1 200 dollars par adulte, 500 dollars par enfant). Un couple avec deux enfants gagnant moins de 218 000 dollars (201 000 euros) par an devrait ainsi recevoir 3 400 dollars. Le plan inclut également 350 milliards de prêts aux entreprises de moins de 500 salariés, et 500 milliards de dollars d’aides diverses aux entreprises en difficulté, dont 61 milliards pour le secteur aérien.
Portés par le vote imminent de ce plan de relance historique, les marchés financiers ont connu un vif rebond, le Dow Jones enregistrant même mardi sa plus forte hausse (+11,37 %) depuis 1933. «Ce package préparera le terrain pour un bon rebond au deuxième semestre», a estimé, optimiste, le principal conseiller économique de Donald Trump, Larry Kudlow. Depuis plusieurs jours, le président américain, préoccupé par sa réélection en novembre, a manifesté son impatience face à la paralysie de l'économie. «Nous ne pouvons pas laisser le remède être pire que le problème», a-t-il plusieurs fois répété, dans une équation «santé des Américains» contre «santé de l'économie». Mardi, il a promis de relancer «rapidement» l'activité. «J'adorerais rouvrir d'ici Pâques» (le 12 avril), a-t-il déclaré, malgré les vives réserves des médecins et scientifiques.