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Libération
Éditorial

Déluge

publié le 26 mars 2020 à 20h41

Encore un paradoxe dans cette crise décidément sans précédent : la peur, pour une fois, est bonne conseillère. Craignant de voir une récession carabinée succéder à la pandémie du coronavirus qui a mis une partie de l’économie mondiale à l’arrêt, les Etats et les Banques centrales veulent éviter les erreurs de l’après-2008. A l’époque, les instituts monétaires avaient distribué sans compter aux banques pour les sauver, mais les Etats avaient ensuite resserré les budgets pour limiter l’endettement mondial. Il avait fallu dix années pour en sortir. Cette fois, les tabous de l’orthodoxie sont tombés comme les quilles de bowling frappées par un strike. «Monnaie hélicoptère», «coronabonds», fin du dogme des 3 % du PIB pour les déficits, plans de soutien massifs aux Etats-Unis et même en Allemagne, patrie des «ordolibéraux» : pour la maintenir à flot, on déverse sur l’économie mondiale un déluge de monnaie sortie de nulle part (en fait des grands livres des Banques centrales). Pour un peu, l’argent se mettrait à pousser sur les arbres… Savoir aussi péremptoire qu’incertain, la science économique est bien incapable de dire où tout cela mènera. En théorie, ces montagnes de dettes accumulées par les agents économiques devraient être remboursées un jour. Il ne manquera pas d’experts pour agiter le spectre de «l’aléa moral», qui consiste, en effaçant les dettes, à récompenser les cigales et à sanctionner les fourmis. Mais si les prêteurs réclament sans pitié leur livre de chair, les emprunteurs risquent de trépasser, à commencer par les plus faibles et les plus pauvres. Une hypothèse commence à se faire jour : en l’absence d’inflation, on accepterait de reporter indéfiniment les échéances, de rouler la dette devant soi comme un cerceau. Economie-fiction ? Il arrive dans l’histoire que la fiction soit dépassée par la réalité.