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Analyse

UE : l’après-crise économique sera surtout politique

Pour de nombreux pays européens, la France en tête, la réaction à la pandémie devra aller plus loin dans l’intégration communautaire, sous peine de voir les populistes encore renforcés.
Le ministre allemand des Finances, Olaf Scholz, et la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, à Bruxelles le 17 février. (Photo F. Lenoir. Reuters )
par Jean Quatremer, correspondant à Bruxelles (UE)
publié le 26 mars 2020 à 20h41

L'Union européenne a appris ses gammes. En 2007-2008, lors de la crise financière, puis en 2011-2012, lors de la crise de la zone euro, elle avait agi trop peu, trop tard en privilégiant le national sur l'européen. Aujourd'hui, elle a frappé vite et fort, tant sur le plan monétaire, avec l'intervention massive de la Banque centrale européenne (BCE), que budgétaire, avec la suspension du pacte de stabilité, pour amortir le choc de la mise à l'arrêt des économies européennes pour cause de coronavirus (lire pages 2 à 5). Mais beaucoup d'Etats, dont la France, estiment que cette réaction sans précédent à une crise sans précédent reste insuffisante. Pour eux, il faut dès maintenant préparer l'après, qui se jouera non seulement sur le plan économique mais surtout politique, les populistes étant en embuscade. Les Vingt-Sept, réunis jeudi par visioconférence, pour la troisième fois en trois semaines, ont donc lancé les travaux de sortie de la pandémie.

«Bonne crise»

«On a été surpris par la brutalité de la crise au départ, c'est vrai, reconnaît-on à l'Elysée, mais on peut se préparer dès maintenant à la sortie de la pandémie.» Pour Emmanuel Macron, c'est l'occasion d'aller enfin plus loin dans l'intégration communautaire, notamment en mutualisant les coûts induits par la lutte contre le coronavirus et la longue reconstruction économique qui s'annonce. Avec tous les guillemets possibles, on estime à Paris qu'il «ne faut pas gâcher une bonne crise» en revenant au statu quo ante. Le problème, comme d'habitude, est que les Etats membres sont divisés.

Pour l'Allemagne, l'Autriche, la Finlande ou encore les Pays-Bas, l'Union a déjà été aux limites de son action et ils estiment avoir beaucoup fait en acceptant que l'orthodoxie budgétaire soit mise entre parenthèses et en souscrivant sans trop rechigner aux mesures de la BCE. Mais pour eux, tout cela reste temporaire. «Une fois la crise terminée - nous espérons que ce sera le cas dans quelques mois -, nous reviendrons à la politique d'austérité et, dès que possible, à la politique de l'équilibre budgétaire», a ainsi clamé mardi Peter Altmaier, le ministre allemand de l'Economie, chrétien-démocrate proche de la chancelière Angela Merkel.

D'autres, en particulier les pays du sud de l'Europe particulièrement frappés par cette crise, ne sont absolument pas de cet avis. Dans une lettre adressée mercredi à Charles Michel, le président du Conseil européen, neuf chefs d'Etat et de gouvernement (France, Belgique, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Portugal, Slovénie et Espagne), soutenus par le Parlement européen, estiment que «nous devons prendre des décisions extraordinaires pour limiter les dommages économiques» causés par «les mesures extraordinaires que nous prenons pour contenir le virus».

Outre l'arsenal déjà déployé, ils proposent de créer «un instrument de dette commun émis par une institution européenne pour lever des fonds sur le marché, sur la même base et au bénéfice de tous les Etats membres, assurant ainsi un financement stable à long terme des mesures requises pour faire face aux dégâts causés par cette pandémie». En clair, ces pays veulent briser le tabou nordique des eurobonds - ou emprunts européens - afin de mutualiser les pertes dues à la crise.

«Il ne s'agit pas pour l'instant de dire tel montant sous telle forme [c'est-à-dire via le Mécanisme européen de stabilité ou via le budget communautaire, ndlr], explique-t-on dans l'entourage d'Emmanuel Macron, car cela tuerait le débat» ; «Mais il faut l'assumer.» L'idée est d'envoyer aux marchés le signal que l'Union est solidaire et qu'elle aidera tous ses Etats à se financer à bon compte, quel que soit le montant de leur dette publique.

Imprévisible

Cette fois-ci, personne ne peut dire que la crise est due à tel Etat en particulier qui aurait mal tenu ses comptes. Tout le monde est touché en même temps par un choc extérieur imprévisible. «Si on commence à dire que l'Italie n'avait qu'à faire davantage d'efforts dans le passé pour avoir davantage de marge de manœuvre pour refuser toute solidarité, le coût politique sera énorme», poursuit-on à l'Elysée.

De fait, si la solidarité européenne ne va pas au-delà de la gestion du choc initial, les populistes empocheront la mise : «Si l'Italie se retrouve dans un marasme économique total sous le regard indifférent de l'Europe, on aura de nouveau Salvini au pouvoir. Il ne faut pas oublier que la gestion de la crise migratoire de 2015 a donné l'impression aux Italiens qu'ils étaient seuls et ça a donné le Mouvement Cinq Etoiles et la Ligue au gouvernement. Cette fois, ça sera pire», prévient un proche du chef de l'Etat français. En clair, si rien n'est fait, le coût économique se doublera d'un coût politique faramineux qui pourrait emporter l'Union…

La clé est allemande, comme toujours : si Berlin dit à nouveau non, les eurobonds resteront à jamais le monstre du Loch Ness du marais européen. Mais on se veut optimiste à Paris : «La chancelière a conscience du risque italien», qui représente aussi un danger pour l'Allemagne si le marché intérieur et l'euro se délitent. Le problème est qu'elle est affaiblie, en fin de mandat, et que la CDU, son parti, n'est pas encline à se montrer solidaire de ses voisins.

On espère au moins qu'elle acceptera que le débat se poursuive. Un projet de conclusion, qui non encore validé à l'heure où nous écrivons ces lignes, prévoit de «faire tout ce qui sera nécessaire dans un esprit de solidarité», y compris, «le cas échéant», de «nouvelles actions». Bref, la porte vers des eurobonds reste ouverte.