Alors que le pouvoir central est aux commandes dans la lutte contre le Covid-19, les pleins pouvoirs ayant été donnés au ministère national de la Santé, les régions grondent. L'une réclame davantage de matériels de protection, l'autre accuse le pouvoir central de ne pas lui apporter suffisamment de lits, une autre encore exige l'isolement total de son territoire… Cette tension est d'autant plus forte que la fameuse courbe espagnole ne s'améliore pas et que, si la hausse de la contagion est désormais plus lente (100 000 cas au total), le rythme des décès, lui, continue de monter en flèche, avec plus de 800 morts pendant cinq journées consécutives. Mercredi, l'Espagne a passé la barre des 9 000 morts, avec 864 décès supplémentaires en vingt-quatre heures.
La multiplication des griefs exprimés par les 17 régions et le capharnaüm logistique dont elles se font l'écho est logique car, avec la crise sanitaire, l'Espagne, qui était un des Etats les plus décentralisés d'Europe, fonctionne soudainement sous commandement unifié. Ce mercredi, l'exécutif dirigé par le socialiste Pedro Sánchez a d'ailleurs en partie fait amende honorable en reconnaissant avoir peu joué la transparence, non seulement avec les régions (de son bord politique ou non), mais aussi avec l'opposition, dont les critiques sont acerbes. Le chef de l'opposition conservatrice, Pablo Casado, a retiré son «soutien raisonnable» à Pedro Sánchez. Quant au leader du parti d'extrême droite Vox, Santiago Abascal, il réclame un gouvernement d'experts et l'expulsion du dirigeant socialiste.
«Ignorés par le pouvoir central»
Outre de nombreuses autres prérogatives, la santé est en Espagne une compétence relevant des régions. Or ce n’est plus le cas depuis le début de la crise sanitaire. Dans la pratique, la situation est chaotique : face à l’insuffisance des infrastructures, des lits d’hôpitaux, des matériels de protection et la saturation des services de réanimation, plusieurs régions ont pris la liberté d’affréter des vols en provenance de Chine pour se fournir, telles que l’Aragón, la région de Madrid ou de Valence. Le pouvoir central, qui vient d’annoncer des achats massifs de matériels, est accusé par plusieurs capitales régionales de favoriser les uns et d’en léser d’autres.
Vendredi, la décision (non concertée) de Pedro Sánchez de limiter l'activité économique au strict minimum a suscité la colère de plusieurs présidents régionaux, à l'instar des conservateurs à Madrid, des nationalistes au Pays basque et des séparatistes en Catalogne. «Nous nous sentons totalement ignorés par le pouvoir central, a exprimé Andoni Ortuzar, du PNV, la formation basque qui gouverne à Vitoria. A Madrid, ils n'ont pas pris en compte la spécificité du tissu industriel basque et l'énorme risque de le voir s'étioler avec ces mesures drastiques.»
A Barcelone, où gouverne le sécessionniste Quim Torra, la tension est encore plus grande. Depuis le début de la crise, il a à plusieurs reprises réclamé le «confinement total» de la Catalogne, comme si cette région était un Etat indépendant. Désormais, il conditionne sa «collaboration» avec le gouvernement central à la sortie de prison de neuf leaders indépendantistes, afin que ces derniers puissent vivre le confinement imposé chez eux, et non derrière les barreaux.
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