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Libération
Chronique «Vu du monde»

Au Mexique, les domestiques confinées… chez leurs riches employeurs

Des Mexicains parmi les privilégiés refusent de renoncer à leur bonne, et une grande partie des 2,4 millions d’employées domestiques doivent continuer à travailler sans pouvoir rentrer chez elles.
A Mexico, hier. (Fernando Llano/Photo Fernando Llano. AP)
publié le 3 avril 2020 à 8h54

Confinés avec la bonne. Certains Mexicains, parmi les plus privilégiés, ne veulent pas renoncer à leur domestique en cette période de combat contre le coronavirus. Les citoyens sont censés rester chez eux. Mais seuls les travailleurs les plus aisés ont pu se réfugier dans la sécurité de leurs foyers. Précaires, mal considérées, une grande partie des 2,4 millions d’employées domestiques ont continué à travailler. Et si beaucoup sont confinées, c’est chez autrui qu’elles le sont.

Enfermées contre leur volonté 

Marcelina Bautista, fondatrice et dirigeante du syndicat des employées de maison, soupire au bout de la ligne téléphonique en énumérant les actions arbitraires des riches familles mexicaines. «Nous avons reçu plusieurs plaintes d'employées domestiques qui ont été mises à la porte, parfois même après vingt ou trente ans au service d'une même famille, parce qu'elles ne voulaient pas rester enfermées avec ces gens.» En effet, comment envisager pour eux d'empoigner un balai, de laver leur linge sale ou de se faire à manger… toutes ces tâches dévolues à leur indispensable muchacha («bonne»).

Bautista, ancienne travailleuse domestique, affirme que ses pairs en voient «de toutes les couleurs» en ces temps de Covid-19. Il y a celles qui sont enfermées contre leur volonté et ne peuvent pas disposer de leur jour hebdomadaire de repos pour aller s'occuper de leur propre famille. Il y a celles qui sont renvoyées chez elle sans paie «parce que l'employeur prétexte qu'il ne perçoit plus son salaire non plus». Et puis il y a celles à qui l'on ordonne d'astiquer plusieurs fois par jour toutes les surfaces au désinfectant.

Découverte des tâches ménagères

«Leur travail n'est pas considéré comme un emploi à part entière», explique le sociologue Roberto Zedillo, spécialiste de l'exclusion, qui explique que «beaucoup de Mexicains considèrent leur domestique comme un membre en plus de la famille.» Sous couvert de relation affective, on ne reconnaît pas leurs droits. Malgré les réformes législatives récentes qui obligent les employeurs à les engager sous contrat et à les affilier à la sécurité sociale, une infime minorité d'entre elles osent revendiquer ces droits, par crainte de perdre leur travail.

Les employées qui changent tous les jours de maison doivent passer plus de deux ou trois heures quotidiennement dans les transports publics. «Si les 300 000 travailleuses domestiques de la ville de Mexico pouvaient rester chez elles durant trente jours, ce serait bénéfique pour tout le monde dans la lutte contre le virus», affirme Marcelina Bautista. En leur absence, les riches doivent se retrousser les manches et découvrir les tâches ménagères, dont ils commentent les difficultés sur les réseaux sociaux.