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Covid-19

Royaume-Uni : le NHS vénéré mais malade de l’austérité

Les Britanniques sont très attachés à un système de santé public mis à mal par les conservateurs depuis 2010.
Le journal anglais «Metro» a fait sa une de mardi sur l’admission en soins intensifs du Premier ministre britannique. (Photo Kirsty Wigglesworth. AP)
publié le 7 avril 2020 à 20h11

C’était le 27 juillet 2012. Il faisait très beau. Les yeux du monde étaient fixés sur Londres. Elizabeth II (enfin une doublure) sautait en parachute et en robe rose à sequins au-dessus du stade olympique sous les hourras d’une foule déchaînée. La cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques le prouvait une fois de plus : le Royaume-Uni était décidément très cool. A l’époque, le Brexit n’existait pas, le mot n’avait même pas été inventé. A la nuit tombée, au centre du stade, c’est un sigle qui s’était affiché : NHS pour le National Health Service. Son apparition avait provoqué une ovation. Pendant plusieurs minutes, un ballet de lits d’hôpital, d’infirmières et de médecins en costumes des années 40 avait célébré le Service national de santé publique. Au risque de troubler les audiences internationales pas forcément au fait de l’amour immodéré des Britanniques pour leur NHS, le pays communiait autour de ce dernier.

Avec la reine Elizabeth II et dans une moindre mesure la BBC, le NHS est sans doute la seule institution britannique à faire l'objet d'un véritable culte. Mardi, Journée internationale de la santé, la reine s'est fendue d'un message à tous ces soignants qui «se dévouent pendant des circonstances particulièrement difficiles». Dimanche soir déjà, lors de son adresse exceptionnelle à la nation, ses premiers mots de gratitude étaient allés au NHS.

«Armée de volontaires»

Mardi aussi, alors que le pays restait suspendu à l'évolution de l'état de santé du Premier ministre, Boris Johnson, une «armée des volontaires» s'est mise en branle. Appelée de ses vœux par le gouvernement au début de l'épidémie du Covid-19, cette troupe de Britanniques ordinaires est venue aider le NHS. L'objectif était de rassembler 250 000 volontaires, ils sont 750 000 à s'être inscrits. Ils rempliront des tâches simples : livrer des médicaments ou de la nourriture à 2,5 millions de personnes vulnérables, passer un coup de fil à des individus isolés ou les emmener à des rendez-vous médicaux. Et plus de 20 000 médecins, infirmières et infirmiers récemment à la retraite se sont dit prêts à reprendre du service pour aider «leur» NHS.

Le National Health Service est né le 5 juillet 1948, sous un gouvernement travailliste. L'idée de sa création avait émergé avant la guerre, lors du congrès annuel du Labour en 1934, émise par le docteur Somerville Hastings. La Seconde Guerre mondiale, ses morts et ses blessures firent le reste. Le principe en est simple : l'accès à tous à des soins gratuits, sans discrimination, sans frais. «Tous - riche ou pauvre, homme, femme ou enfant - peuvent l'utiliser. Il n'y a rien à payer, sauf quelques petites exceptions. Il n'est pas nécessaire d'avoir une assurance. Mais il ne s'agit pas d'une œuvre caritative. Tous, vous payez pour, à travers vos impôts sur le revenu, ce qui, en cas de maladie, éliminera pour vous tout souci financier», expliquait un prospectus distribué aux Britanniques. Le principe concerne toutes les spécialités, des généralistes aux gynécologues, en passant par les dentistes ou les ophtalmologues. Les médecins et infirmiers touchent un salaire mensuel du NHS. Seuls certains médicaments prescrits sont payants.

L’idée de base n’a pas vraiment bougé depuis. Le NHS, divisé en quatre entités régionales, est devenu une énorme machine. Il emploie environ 1,6 million de personnes. Son fonctionnement subit parfois des ratés. La hiérarchie très rigide, les protocoles trop précis ou la débauche d’administration sont souvent critiqués par les personnels de santé. Avec 6,6 lits en soins intensifs pour 100 000 personnes, le NHS se situait avant la pandémie en bas des classements européens. Mais, comme partout, c’est son financement trop serré qui est remis en question.

Privatisation

Après une manne financière versée durant les années du travailliste Tony Blair, le NHS n'a pas été épargné par les coupes drastiques imposées pendant dix ans d'austérité par les gouvernements conservateurs de David Cameron puis Theresa May. Pendant les débats sur le Brexit, la privatisation partielle du NHS avait été soulevée par certains brexiters, sous la pression notamment de sociétés pharmaceutiques américaines alléchées par un marché juteux. Ces suggestions avaient provoqué une levée de boucliers. Pendant la campagne électorale de décembre, Boris Johnson avait dû se défendre d'envisager un tel projet. Le travailliste Jeremy Corbyn avait assené à chaque occasion que «le NHS n'est pas à vendre» et promis d'ouvrir les vannes des finances de l'Etat au NHS. C'est finalement le conservateur Boris Johnson, poussé par le vote de confiance de milliers d'électeurs précédemment travaillistes, et par le déclenchement de l'épidémie de Covid-19, qui a débloqué les budgets. Mais ces fonds arriveront sans doute trop tard pour compenser le manque criant de moyens.