Les Goldene Zwanziger, les Années dorées comme disent les Allemands, sont partout. En témoigne le succès de la série Babylon Berlin, dont la saison 3 est diffusée depuis février sur une chaîne à péage, tandis que la télévision publique offre les deux premières saisons en replay.
Dans les kiosques à journaux, les hors-séries de Die Zeit ou Der Spiegel célèbrent eux aussi ces Années folles, s'interrogent sur l'extraordinaire modernité de la période. Dans la capitale allemande, le spectacle de cabaret Berlin Berlin, joué au grand théâtre populaire de l'Admiralspalast, en fait une reconstitution kitsch sur un air de l'Opéra de quat'sous de Kurt Weill, où sont toutefois évacués certains événements de la période, comme les manifestations du KPD réprimées dans le sang par la police le 1er mai 1929, les putschs des militaires clandestins de la Reichswehr noire, les trafics poisseux en tous genres et la misère sociale des nécessiteux entassés dans les Mietkaserne. On gardera plutôt de cette décennie les fume-cigarette, les coupes garçonnes, les robes courtes, le charleston et les fêtes arrosées au champagne. Même chose pour les soirées costumées «Bohème sauvage», organisées depuis 2005 dans le pays, où l'on danse le charleston en robe en lamé dans une ambiance qui, par sa cherté et son toc, rappelle celle de Disneyland.
Dans les librairies, la décennie est tout aussi omniprésente. Le succès de la série de romans policiers de Volker Kutscher, qui ont inspiré Babylon Berlin (Le Poisson mouillé, Seuil, 2007), a donné des idées à bien des romanciers, et des tonnes de krimi, de romans policiers, explorent cette période. En 2020, la tendance s'accentue : Dirk Kurbjuweit, auteur du thriller de voisinage Peur (Delcourt, 2018), vient de publier Haarmann, mettant en scène le serial killer Fritz Haarmann, «le boucher de Hanovre». De son côté, Fieber : Universum Berlin 1930-1933 de Peter Walther documente la chute de Weimar et le début du IIIe Reich, à travers dix protagonistes, façon roman choral.
Question inévitable : que signifie, cent ans plus tard, cette fascination ? Interrogé par le Spiegel, l'historien Daniel Schönpflug explique que «les années 20 ont été une décennie révolutionnaire, certes agitée, mais aussi pleine d'idées, d'espoirs et de possibilités», et que cette vitalité intrigue encore. En outre, beaucoup d'observateurs n'hésitent pas à dresser des parallèles, parfois hâtifs, entre cette époque et la nôtre : boom technologique, inégalités sociales, menace de l'extrême droite, crise économique… A l'entame de 2020, certains journaux allemands n'hésitaient pas à se demander «L'histoire est-elle destinée à se répéter ?»
C'est sans doute cette question qui agite les Allemands lorsqu'ils revisitent à l'infini cette période de leur histoire. Et il est vrai, dit l'historien Daniel Schönpflug, qu'ils vivent, comme leurs aïeux de 1920, une phase post-révolutionnaire, celle d'après 89. Mais l'histoire ne bégaie pas toujours, dit-il. «Nous avons désormais plus d'expérience sur les révolutions et les périodes de crise, et nous pouvons réagir différemment. On peut espérer que si les temps d'hier et d'aujourd'hui sont structurellement liés, l'histoire ne se répétera pas.»