Après une série de défaites et reconnaissant un «chemin vers la victoire pratiquement impossible», le sénateur indépendant du Vermont Bernie Sanders a annoncé ce mercredi mettre fin à sa campagne pour l'investiture démocrate. Déjà grand favori avec plus de 300 délégués d'avance sur son désormais ex-rival, l'ancien vice-président Joe Biden, 77 ans, est assuré d'affronter le président républicain, Donald Trump, à la présidentielle de novembre.
Biden doit encore être investi officiellement lors de la convention du parti, reportée au mois d'août à cause de la pandémie de coronavirus, qui perturbe largement la campagne. Le socialiste Sanders, 78 ans, qui avait perdu face à Hillary Clinton en 2016, a promis de travailler avec le modéré Biden, qu'il a qualifié d'«homme très respectable» dans une allocution diffusée sur Internet mercredi midi.
«Alors que je vois la crise s'intensifier dans notre nation, et le travail nécessaire pour protéger la population dans ce moment d'ultime désespoir, je ne peux, en conscience, continuer cette campagne qui ne peut l'emporter», a affirmé Sanders. Plus de 400 000 cas de Covid-19, et 13 000 morts, ont été identifiés aux Etats-Unis. Les mesures de confinement adoptées pour tenter d'endiguer la propagation du virus ont plongé le pays dans une grave crise économique et sociale : sur les 10 millions d'Américains qui ont perdu leur emploi ces deux dernières semaines, près de 3,5 millions ont perdu dans le même temps leur assurance santé, selon les estimations de l'Economic Policy Institute. Mettant à nouveau au cœur du débat l'une des pierres angulaires du programme de Sanders, «Medicare for all», sa proposition d'assurance santé universelle et publique qui vise à éliminer les assurances privées (souvent liées à l'emploi aux Etats-Unis), au bénéfice d'un système géré par le gouvernement. Ou la nécessité de créer des congés maladie pour tous les Américains, inexistant au niveau fédéral. La pandémie a jeté ces derniers jours une lumière crue sur les failles béantes du système de protection sociale aux Etats-Unis, forçant le Congrès à voter un colossal plan de sauvetage de 2 200 milliards de dollars.
«Bataille idéologique»
S'il se retire aujourd'hui de la course et reconnaît que Joe Biden sera le candidat démocrate face à Trump en novembre, Bernie Sanders affirme qu'il conserve ses 914 délégués acquis jusqu'ici, et qu'il figurera sur les bulletins de vote des prochaines primaires, pour «continuer d'influencer la plateforme du parti» jusqu'à la convention.
Alors qu'en 2016, il était seul à dénoncer un système capitaliste «corrompu» favorisant les milliardaires au détriment des travailleurs, un système de santé ruineux pour des millions d'Américains ou le poids de la dette étudiante, en 2020 la quasi-totalité des candidats démocrates en ont fait des thèmes centraux de leur campagne. Voulant donner des gages à l'aile progressiste du parti, Joe Biden a d'ailleurs annoncé le mois dernier qu'il adoptait des propositions inspirées de celles de Sanders sur l'allègement de la dette étudiante et l'université publique gratuite (tout en limitant la mesure aux familles aux revenus inférieurs à 125 000 dollars par an). «Nous avons gagné la bataille idéologique», a souligné Sanders mercredi, saluant le «mouvement sans précédent, multigénérationnel et multiracial» qui a porté sa candidature. «Le futur de ce pays est [favorable à] nos idées», a-t-il insisté, rappelant avoir remporté systématiquement le vote des démocrates de moins de 30 ans aux primaires qui se sont tenues jusqu'ici.
A lire aussi Bernie Sanders : un «Super Tuesday» pour confirmer
Avec ses propositions de lutte contre le changement climatique, sa volonté de rendre l’université publique gratuite ou d’annuler la colossale dette étudiante grâce à une nouvelle taxe sur les transactions financières, le vieux sénateur socialiste a su galvaniser les démocrates progressistes, et notamment les jeunes. Jusqu’aux mesures de confinement pour lutter contre la propagation du coronavirus, entraînant l’annulation en chaîne des événements de campagne, l’énergie de la foule présente à ses nombreux meetings a témoigné de la ferveur inédite de sa base militante. Refusant l’argent des gros donateurs, sa campagne a réalisé des records de levées de fonds auprès de millions de petits donateurs.
Electorat jeune et latino
Sanders met aujourd’hui un terme à une campagne ponctuée de rebondissements. Après son entrée officielle dans la course, en mars 2019 depuis son Brooklyn natal, «Bernie» avait peiné à s’imposer dans les sondages nationaux, largement dominés par Joe Biden. Sa crise cardiaque en octobre avait semblé hypothéquer ses chances de se maintenir dans la course. Mais de nombreux ralliements, et notamment le soutien de la jeune élue de New York Alexandria Ocasio-Cortez, figure de proue de la gauche américaine, avaient relancé sa campagne. Bernie Sanders était sorti grand favori des premières primaires dans l’Iowa, le New Hampshire et le Nevada, s’assurant du soutien de l’électorat jeune et latino-américain. Mais il n’a pas su élargir sa base au-delà.
A lire aussi Bernie Sanders à Brooklyn : «Je sais d'où je viens»
Donnée moribonde après des premières primaires décevantes sinon catastrophiques, la campagne de Joe Biden a, elle, enchaîné les succès à partir de sa victoire en Caroline du Sud, fin février. La candidature de l’ex-vice-président de Barack Obama a rassemblé les démocrates centristes, poussé les candidats encore en lice à se retirer de la course pour lui apporter leur soutien, et consolidé la loyauté des Afro-Américains, électorat clé du parti démocrate. Ses victoires dans des Etats cruciaux, comme dans le Michigan ou en Floride, ont porté des coups durs à la campagne de Bernie Sanders, incapable de se relever depuis.
Il y a quelques semaines déjà, Sanders reconnaissait qu'il avait «perdu la bataille de l'électabilité». Dans un pays qui a érigé l'empathie en vertu politique, «Bernie», son slogan «Not Me. Us» («Pas moi. Nous») et sa mine austère ont inspiré de nombreux démocrates américains, sans qu'il ait besoin de se soumettre aux «hugs» et selfies à la chaîne («Je ne suis pas du genre à envoyer des SMS pour les anniversaires», admettait-il dans une interview au New York Times). La carrière politique de Sanders, entamée il y a quarante ans, présente une constance assez unique. Son premier mandat remonte à 1981, quand il est élu maire de Burlington, la plus grosse ville du Vermont (40 000 habitants), avec seulement dix voix d'avance et un message proche de celui qu'il martèle aujourd'hui – sur l'explosion des inégalités aux Etats-Unis, contre l'oligarchie qui tient dans sa main l'économie du pays, sur la nécessité d'offrir aux Américains un système de santé décent.
A lire aussi Présidentielle 2020 : c'est reparti mon «Bernie»!
Il avait déjà la même dégaine de grand escogriffe échevelé et peu souriant, comme en témoignent les archives vidéos de Bernie Speaks with the Community, son programme télé diffusé sur une chaîne locale du câble dans les années 80 et réalisé avec trois bouts de ficelle, pour contrecarrer la couverture des médias locaux qui peinaient à prendre au sérieux cet élu socialiste dans l'Amérique de Reagan. On le voit tenant des conférences de presse, allant à la rencontre des habitants pour discuter gestion des déchets, érosion côtière, ou prévention contre les drogues avec un groupe de gosses. L'un d'eux lui demande, d'ailleurs : «Vous saviez que vous ressemblez à quelqu'un de Retour vers le Futur ?»