Le Royaume-Uni respire autour de trois piliers, sa reine, le National Health Service et la BBC. Quand la crise pointe, les Britanniques applaudissent leur NHS, écoutent religieusement la reine et regardent la BBC. Depuis le début du confinement, les archives de la British Broadcasting Corporation ont sorti de leurs placards une série de petits joyaux historiques dont… Tony Britts. C’était son nom de scène, de danseur. Son vrai nom était Anthony Menson Amuah.
It’s day 1 of the BBC Archive quarantine fitness regime! Just don a pair of your tightest shorts and let Tony Britts lead the way. pic.twitter.com/V3KHmzaQsk
— BBC Archive (@BBCArchive) March 25, 2020
En ces temps de confinement, d'angoisse et d'ennui aussi, il faut parler de Tony, de ses shorts en nylon et marcels à trous format extra mais alors vraiment extra small. Les vidéos s'intitulent «session de fitness pour l'isolement de la quarantaine» et sont soigneusement distillées sur twitter. On en est à la séance cinq et, en quelques jours, Tony Britts est devenu une vedette sur les réseaux sociaux.
It's day 2 of the BBC Archive quarantine fitness regime! Before you do your Joe Wicks workout, we recommend you limber up with Tony Britts! pic.twitter.com/OlDAbM5I7j
— BBC Archive (@BBCArchive) March 27, 2020
Dans les années 80, ce danseur d'origine ghanéenne offrait une fois par semaine dans le programme matinal de la BBC une courte séquence de fitness. Sur un fond musical résolument disco, devant un décor de carreaux de salle de bains vert kaki et sur un tapis rose pâle à motifs psychédéliques, Tony se déhanchait. Il se déhanchait beaucoup. Il encourageait le téléspectateur à mémoriser une mini chorégraphie, en détaillant chaque mouvement à l'aide de petits «Okayyyyyye» ou de «move, move, move» (bouge, bouge, bouge) au rythme de la bascule de son bassin. Il ponctuait sa séance d'un «that's it, that's it», (c'est ça, c'est ça). La caméra de la BBC de l'époque, peu farouche, multipliait les gros plans sur les déhanchements stratégiques. Et Tony semblait s'amuser comme un fou.
It’s day 3 of the BBC Archive quarantine fitness regime! Tony Britts is back with another quintessentially 80s workout. pic.twitter.com/Lk6tDc1pet
— BBC Archive (@BBCArchive) March 31, 2020
L'ensemble est à la fois surprenant, hilarant et… réconfortant. La première fois, on s'est dit que, décidément, le confinement nous pesait. Puis on a constaté que des centaines de milliers de personnes se jetaient aussi sur les vidéos de BBC Archives. Les dernières secondes sont les plus délicieuses. La caméra bascule vers le canapé de cuir chesterfield sur lequel sont posés, très dignes et très raides, les présentateurs et invités du programme matinal. Le temps se suspend une fraction de seconde, chacun reprend ses esprits. Puis, inévitablement, l'un ou l'une des présentateurs glisse, la voix étranglée et les joues colorées, et avec cet inimitable accent pointu so british et so BBC : «Extraordinaire ! Merci Tony !»
It’s day 4 of the BBC Archive quarantine fitness regime! Time to don some tight clothing that doesn't quite fit and limber up with the one and only Tony Britts! pic.twitter.com/RD4rX1sCKI
— BBC Archive (@BBCArchive) April 2, 2020
On a cherché à retrouver Tony Britts. Il est difficile à tracer sur Internet. On a découvert qu’il était né à Londres le 24 novembre 1955 et qu’il y était mort en juin 1988, apparemment du sida. Il avait 32 ans. Depuis, on regarde ses vidéos différemment. On se souvient que, dans les années 80, quand Tony dansait et aimait, le virus VIH venait d’être découvert. On se rappelle qu’au début, personne n’y comprenait rien, puis qu’on a parlé d’épidémie, qu’être diagnostiqué séropositif était assimilé à une sentence de mort. On se souvient qu’on disait qu’on ne pourrait plus s’aimer comme avant. Que c’était la fin de la vie telle qu’on l’avait connue. Et puis voilà, aujourd’hui, on vit longtemps avec le VIH, on en guérit même, puisque deux cas complets de rémission ont désormais été officiellement enregistrés.
It’s day 5 of the BBC Archive quarantine fitness regime! Tony Britts is back with another belter of a workout to keep you both entertained and in shape - that's it! pic.twitter.com/YlT6HpFtL7
— BBC Archive (@BBCArchive) April 6, 2020
Alors on se dit que cette épidémie du Covid-19 est un sale moment à traverser. Mais qu'il ne nous empêche pas d'aimer et de regarder se déhancher Tony Britts avec un petit sourire. Et intérieurement, on lui dit «merci Tony» !