Toutes les semaines, chronique de la vie quotidienne, sociale et culturelle dans les pays arabes.
Pas de messes ni de processions de Pâques cette année au Moyen-Orient. Du Caire à Jérusalem et d’Alep à Beyrouth, les cloches sonneront dans des églises vides, comme ailleurs, pour cause de coronavirus. Mais pas d’inquiétude pour la tradition la plus sacrée de la fête : les maamouls. La magie de ces gâteaux préparés spécialement pour l’occasion opère même chez les becs non sucrés. Elle tient aussi au rituel de leur élaboration qui occupe les familles chrétiennes – même confinées – pendant presque toute la semaine sainte.
Un avant-goût de fête
Il faut tout d’abord descendre au souk des épiciers pour choisir les kilos de cerneaux de noix, de pistaches décoquées et de pâte de dattes de bonne qualité. Sans oublier l’eau de fleur d’oranger pour parfumer. Le lendemain, pendant qu’on se met à concasser les fruits secs, les enfants rôdent autour pour en subtiliser discrètement une petite poignée. Trois immenses saladiers se remplissent en fin de journée de trois farces distinctes : noix et pistaches sont sucrées et arrosées d’eau de fleur d’oranger tandis que la purée de dattes est mélangée à du beurre. Puis dans un quatrième récipient plus grand encore, on prépare la pâte avec de la semoule et du beurre. Tout cela repose toute une nuit sur la grande table de la cuisine.
A lire aussi Les précédentes chroniques «A l'heure arabe»
Le chantier qui s’ouvre le mercredi matin a déjà un avant-goût de fête. Il rassemble les sœurs, cousines ou voisines avec les enfants de tous âges autour d’une grande table. On sort les moules en bois pour les maamouls, objets ingénieux, creusés de trois formes différentes : rond et conique comme une noix, ovoïde comme une pistache ou rond et aplati pour les dattes. La convention doit être respectée pour éviter toute confusion. Puis le travail à la chaîne peut s’organiser. Pendant que quelques dizaines de doigts de toutes tailles plongent dans la pâte de semoule, pour en faire des petites boulettes, les mains plus expérimentées creusent les boules et les remplissent de l’une ou l’autre des farces. Puis les intervenants de la troisième étape pressent les boulettes farcies dans les moules adaptés qu’ils retournent ensuite d’un coup sec pour poser les petits gâteaux sur les plaques allant au four. Une quatrième brigade se charge de la cuisson qui ne doit pas durer plus d’un quart d’heure.
Comparaisons, compliments et critiques
Pendant que cette ruche s’active, les mains et les langues travaillent tout autant. Entre grands et petits, entre deux cousines ou trois voisines, les conversations passent des habits de fête achetés aux dernières déclarations ridicules des dirigeants politiques, en passant par l’angoisse de la petite sœur qui doit accoucher bientôt. Pour compléter l’ambiance, les chansons le plus gaies de la diva Fairuz sont diffusées à la radio ou chantonnées par les pâtissiers. A la fin de la journée des plateaux de centaines de maamouls bronzés sont étalés sur toute surface plane. Ils sont recouverts de linges blancs pour les protéger de la poussière. «C’est fait», comme on peut traduire maamoul.
La dégustation commence le dimanche de Pâques en grande convivialité. Car la tradition veut que chaque famille aille rendre visite à plusieurs autres pour présenter ses vœux. Les gâteaux maison sont offerts avec un thé ou une citronnade. Comparaisons, compliments et critiques sont échangés à la sortie de chaque visite. Les maamouls des voisins du dernier étage sont légèrement trop sucrés. Ceux aux pistaches des cousins germains ne sont pas assez cuits. Mais au moins ils ne sont pas aussi secs que ceux aux noix de la plus vieille tante. Les meilleurs, les plus parfaits étant bien sûr ceux qu’on a soi-même préparés.