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Coronavirus : l’outre-mer ouvre la porte à des renforts

La pandémie de Covid-19 en Francedossier
En Guadeloupe et en Martinique, la prévalence du virus est faible, mais les soignants manquent. En cas d’urgence, les autorités de santé pourraient faire appel au voisin cubain.
Au CHU des Abymes en Guadeloupe, le 9 avril. (CEDRICK-ISHAM CALVADOS/Photo Cédrick-Isham Calvados. AFP)
publié le 14 avril 2020 à 20h16

Dans un rapport publié il y a deux mois, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) dressait la carte des déserts médicaux, les zones où le décalage entre l’offre et la demande de soins est le plus criant. Entre 2015 et 2018, la part de la population française qui bénéficie de moins de 2,5 consultations médicales par an est passé de 3,8 % à 5,7 %. Les trois départements les plus touchés : la Guyane (42,4 %), la Martinique (18 %) et la Guadeloupe (17,5 %). Ce sont au total 260 000 habitants d’outre-mer qui vivent dans une zone «sous-dense», avec un accès limité aux services de santé.

C’est ce constat qui a incité, en mai 2019, une sénatrice de Martinique, Catherine Conconne (Parti progressiste martiniquais, gauche), et un sénateur de Guadeloupe, Dominique Théophile (LREM) à déposer deux amendements au projet de loi sur l’organisation et la transformation des services de santé. Adoptés, ces amendements permettent à quatre collectivités du continent américain (Martinique, Guadeloupe, Guyane et Saint-Pierre-et-Miquelon) d’employer des médecins de pays hors Union européenne. Concrètement, c’est la possibilité d’appeler en renfort des médecins de Cuba.

«Enchères»

«Nous sommes sous tension dans plusieurs spécialités, en hématologie ou en ophtalmologie notamment», explique Olivier Coudin, directeur général adjoint de l'Agence régionale de santé (ARS) Martinique. Pour combler les manques dans ces domaines, «nous avons aujourd'hui recours à l'intérim, ce qui nous revient très cher», ajoute le responsable. Catherine Conconne, la sénatrice du département, complète : «Faire venir des médecins de métropole ou de l'UE est compliqué, il y a peu de réponses et les rares volontaires font monter les enchères.»

Dans ces conditions, Cuba offre une solution de bon sens : à moins d'une heure et demie d'avion, l'île offre un système de santé performant et un nombre de praticiens supérieur aux besoins de sa population. «En Martinique, ajoute la sénatrice, nous bénéficions de l'expérience du Lamentin, la deuxième ville de l'île, qui développe depuis plus de vingt ans des échanges médicaux avec sa ville jumelle, Santiago de Cuba. Des habitants du Lamentin ont pu s'y faire opérer, une expérience très satisfaisante.»

«Feu vert»

Le recours aux médecins cubains n'a pas été pensé pour une situation d'urgence, encore moins pour un virus pandémique. En Guadeloupe, le sénateur Dominique Théophile explique comment il a hâté la publication du décret d'application de la loi de 2019. «En métropole, le débat portait sur l'anticipation ou le retard pris dans l'application des mesures de protection. Je n'ai pas voulu que la polémique se répète chez nous. Le 16 mars, j'ai écrit au ministère de la Santé pour accélérer la procédure. Le décret a été publié au Journal officiel du 31.» Entre-temps, l'outre-mer était entré en confinement, comme l'ensemble du territoire français.

Si l'appel aux médecins de l'île communiste est soumis à un cahier des charges administratif (remise d'un dossier pour chaque candidat, validation des diplômes, validation par une commission), une procédure d'urgence est prévue, en cas d'aggravation épidémiologique aux Caraïbes. Des premières démarches ont été accomplies pour l'activer, détaille Olivier Coudin de l'ARS Martinique : «Nous avons transmis au gouvernement cubain une demande de seize professionnels de santé de différentes spécialités. Ils devraient être prêts à intervenir dès que nous donnerons le feu vert.»

Le système de salaires pratiqué par Cuba pour ses expatriés, qui ne touchent que 20 % environ de la somme versée par le pays d'accueil, fait partie du débat. Catherine Conconne est confiante dans la vigilance des autorités françaises : «Le principe "à travail égal, salaire égal" doit prévaloir pour ces médecins, qui seront protégés par les lois sociales comme n'importe quel travailleur étranger sur notre sol.» Dominique Théophile est plus mesuré : «La coopération avec Cuba fera l'objet d'une convention d'Etat à Etat. Il ne m'appartient pas de juger les termes de cet accord. Chaque pays a son système. A Cuba, les études de médecine sont totalement gratuites, alors qu'en France ce sont les parents qui paient. Il faut en tenir compte.»

Long terme

Les trois responsables consultés par Libération sont d'accord sur un point : cette collaboration médicale s'inscrit dans le long terme, et vise à doter les départements éloignés de spécialistes qu'il est difficile de recruter autrement. A l'heure actuelle, la prévalence du coronavirus est faible (156 cas et 6 morts en Martinique, 145 cas et 8 décès en Guadeloupe) et ne justifie pas l'appel aux Cubains. Mais si jamais la situation s'aggrave, «nous sommes hyperprêts», affirme Olivier Coudin : «Nous avons le fusil au pied.»