Depuis chez elle, à La Florida, en banlieue sud de Santiago, Angélica Rojo regarde avec nostalgie des photos des manifs d'octobre sur son portable. Pendant près de cinq mois, cette ancienne ouvrière textile de 57 ans est allée chaque vendredi dans le centre de la capitale pour protester contre les inégalités dans le pays. Mi-mars, face à la progression du Covid-19, elle a dû se cantonner à un concert de casseroles à sa fenêtre. «Quand cette pandémie sera terminée, on descendra dans la rue avec plus de force, car les inégalités sont encore plus criantes en ce moment», assure-t-elle.
Parmi les revendications de ce mouvement social d'une ampleur inédite depuis la fin de la dictature Pinochet (1973-1990), la santé occupe une place de choix, car «ceux qui ont de l'argent vont dans des cliniques privées et sont pris en charge tout de suite, explique Angélica. Les autres meurent en attendant des soins». «Pour financer des frais de santé, il y a jusqu'à dix loteries solidaires le même jour», rappelle Cristian Weibel, élu de Recoleta, une commune populaire. Dans le pays, 78 % de la population - les plus pauvres et les plus âgés - est affiliée au système de santé public, les autres, plutôt jeunes et en bonne santé, à des assurances privées. Pour que les cotisations de santé obligatoires n'aillent qu'au système public, «il faudrait changer de Constitution [héritée de la dictature, ndlr]. Et le Covid-19 pourrait donner des arguments supplémentaires en ce sens», note Alejandra Fuentes-Garcia, professeure en santé publique. Le référendum sur la Constitution, prévu le 26 avril, a été reporté au 25 octobre à cause de l'épidémie. Au Chili, pays doté en proportion de moitié moins de lits que l'Italie, le pic est attendu en mai-juin, selon les autorités.