Le 30 mars, le capitaine de l'USS Theodore Roosevelt écrivait une lettre à sa hiérarchie pour demander l'évacuation immédiate du porte-avions américain, contaminé par le Covid-19. «Nous ne sommes pas en guerre, martelait le capitaine Brett Crozier dans cette missive inhabituelle envoyée à la Navy, s'inquiétant notamment de la propagation du virus constatée à bord d'un autre bateau, le navire de croisière Diamond Princess. Il n'y a aucune raison que nos marins meurent. Si nous n'agissons pas maintenant, nous échouons à prendre soin correctement de nos actifs les plus sûrs : nos marins.»
Lundi, l'US Navy annonçait dans un communiqué la mort de l'un d'eux de complications du Covid-19 sur l'île de Guam, dans le Pacifique, où le navire a été partiellement évacué. Le marin, dont ni l'identité ni l'âge n'ont été divulgués, avait été trouvé inconscient vendredi matin lors d'un contrôle médical dans les installations mises à disposition de l'équipage, puis transféré dans l'unité de soins intensifs d'un hôpital militaire. Testé positif le 30 mars, trois jours après l'arrivée du Theodore Roosevelt à Guam, il avait été évacué du navire et placé en isolation sur la base navale américaine avec d'autres marins du porte-avions. A ce jour, 585 membres d'équipage du porte-avions ont été testés positifs (et 3 673 négatifs) au nouveau coronavirus, qui a fait plus de 23 000 morts aux Etats-Unis et plus de 118 000 dans le monde.
Réhabilitation d’un capitaine ?
Entre les deux, des polémiques en chaîne. La lettre du capitaine Crozier, implorant la Navy de protéger son équipage de 5 000 marins entassés dans des cabines, certains présentant déjà des symptômes sévères du virus, lui a valu d’être démis de ses fonctions dès sa fuite dans la presse. Suivi par la démission, la semaine dernière, du secrétaire par intérim de la Marine américaine, Thomas Modly, vivement critiqué pour sa gestion de la crise.
Le Pentagone doit rendre publiques cette semaine les conclusions d’une enquête sur cette série d’événements et n’exclut pas de rendre à Brett Crozier son titre de capitaine du porte-avions. Ce dernier, lui-même testé positif au Covid-19, a quitté le navire en héros, avec haie d’honneur et acclamations de l’équipage.
A l'inverse, ces images auraient, affirme une enquête du New York Times publiée dimanche, rendu furieux le secrétaire de la Marine américaine, Thomas Modly. Le 6 avril, il s'est rendu sur le porte-avions (un voyage express qui a coûté plus de 243 000 dollars, a révélé USA Today), et s'est livré à une diatribe diffusée par haut-parleur dans le navire, fustigeant l'équipage d'avoir célébré son capitaine, qualifiant Brett Crozier de «trop naïf» ou «trop stupide». Moins d'une demi-heure plus tard, le coup de sang était largement partagé sur les réseaux sociaux.
Here is @SECNAV allegedly saying #CaptainCrozier is"too naïve or too stupid to command a ship,” and a sailors response upon hearing the SecNav. pic.twitter.com/DN1mExrXAc
— Naveed Jamali (@NaveedAJamali) April 6, 2020
Le même jour en conférence de presse, le président américain, Donald Trump, est allé dans le sens de Modly. La lettre de Crozier est une «erreur», affirmait-il. «Elle montre de la faiblesse, alors que nous n'avons rien de faible. Plus maintenant. Nous avons une armée plus forte que jamais, et nous n'allons montrer de la faiblesse à personne.»
Trump on Captain Crozier sending letter about coronavirus on his ship: "It was a mistake ... it shows weakness and there's nothing weak about us now. Not anymore. We have the strongest military we've ever had. And we're not going to be showing weakness to anybody." pic.twitter.com/QneCdr41nq
— Aaron Rupar (@atrupar) April 6, 2020
De retour à Washington, Modly, sous pression – le secrétaire à la Défense, Mark Esper, lui a demandé de s'excuser auprès du capitaine –, présente sa démission. Selon l'enquête du New York Times, Modly a cherché à anticiper les désirs de Trump, gardant bien en tête que son prédécesseur avait été limogé pour des désaccords avec la Maison Blanche. L'ex-ministre de la Marine, Richard Spencer, s'était en effet opposé à la grâce présidentielle accordée par Trump à un Navy Seal, avant que le président n'exige son départ.