Dans la crise du Covid-19, Donald Trump a trouvé son nouveau bouc émissaire : l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Le président américain a annoncé mardi soir qu'il suspendait la contribution des Etats-Unis à l'institution, le temps que son administration mène une «étude pour examiner son rôle dans la mauvaise gestion» de l'épidémie. Le président a dénoncé la «grave incompétence» de l'OMS face au Covid-19, lui reprochant sa lenteur, l'accusant d'avoir cherché à «dissimuler la propagation du virus», et d'être trop favorable à la Chine.
Réquisitoire
«Si l'OMS avait fait son travail et envoyé des experts médicaux en Chine pour étudier objectivement la situation sur le terrain, l'épidémie aurait pu être contenue à sa source avec très peu de morts», a-t-il martelé, affirmant que les Etats-Unis avaient «des problèmes» avec l'organisation «depuis des années». «Le monde a reçu plein de fausses informations sur la transmission et la mortalité» du Covid-19, a regretté celui qui, fin février, affirmait que le virus allait «disparaître, comme par miracle». Le président américain s'est livré à ce long réquisitoire contre l'agence onusienne lors de son briefing quotidien sur le coronavirus, au cours duquel il n'a pas, contrairement à d'habitude, donné la parole aux scientifiques de sa «coronavirus taskforce» pourtant assis au premier rang.
President Trump: "Today I'm instructing my administration to halt funding of the World Health Organization."
— CSPAN (@cspan) April 14, 2020
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«L'une des décisions les plus dangereuses de l'OMS a été de s'opposer aux restrictions de voyages depuis la Chine», a regretté Trump. Depuis fin janvier, Washington interdit, entre autres, l'entrée sur le territoire américain de tous les non-résidents arrivant de Chine, foyer de départ de l'épidémie. Une mesure, dont le président américain assure qu'elle a ralenti l'arrivée du virus, qui fut critiquée par l'OMS, l'organisation craignant qu'un blocus sanitaire de la Chine n'entraîne des conséquences économiques dramatiques pour le pays.
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Le président n'a pas précisé comment il comptait suspendre le financement américain à l'institution internationale, une décision théoriquement soumise à l'approbation du Congrès. Selon le Wall Street Journal, Trump pourrait cependant ordonner aux agences américaines de rediriger ces budgets pour financer des programmes connexes. «Retirer ces fonds alloués à l'OMS en plein milieu de la pire pandémie en un siècle est aussi opportun que de couper l'approvisionnement en munitions à un allié alors que l'ennemi approche», s'est étranglé le démocrate Patrick Leahy, membre du Senate Appropriations Committee, puissant comité de la Chambre haute du Congrès qui tient les cordons de la bourse fédérale.
«Fuir ses responsabilités»
Accusant la Maison Blanche d'avoir «mal géré la crise depuis le départ, ignoré de nombreux avertissements et gaspillé un temps précieux, méprisant la science médicale», le sénateur affirme dans un communiqué qu'avec ses attaques contre l'OMS, Trump cherche à «fuir ses responsabilités, alors que le nombre de morts continue d'augmenter». Les Etats-Unis comptent aujourd'hui plus de 609 000 cas de Covid-19 et plus de 26 000 morts. «L'OMS aurait pu être plus ferme avec la Chine et déclarer plus tôt l'urgence sanitaire mondiale, mais elle remplit une fonction essentielle et a besoin de notre solide soutien», maintient Leahy. Il rappelle au passage que malgré les restrictions de voyages imposées par la Maison Blanche, «près d'un demi-million de personnes ont pu se rendre aux Etats-Unis depuis la Chine, et le virus venait également d'Europe et d'ailleurs».
Ce «n'est pas le moment de réduire le financement des opérations de l'Organisation mondiale de la santé ou de toute autre institution humanitaire combattant» le nouveau coronavirus, a réagi mardi soir le secrétaire général de l'ONU, António Guterres. L'OMS est «absolument essentielle aux efforts du monde pour gagner la guerre contre le Covid-19», a-t-il ajouté, indiquant qu'il serait toujours temps d'étudier par la suite «comment ont réagi tous ceux qui ont été impliqués dans la crise».
Le président américain avait déjà entamé son couplet anti-OMS la semaine dernière, et menacé de couper les vivres à l'organisation. Son directeur général, Tedros Adhanom Ghebreyesus, avait alors appelé les gouvernements à «ne pas utiliser le virus afin de marquer des points en politique». «Le seul objectif de tous les politiques devrait être de sauver leur population», avait-il ajouté.
Rejet du multilatéralisme
Si elle intervient en plein milieu d'une grave crise sanitaire, l'annonce de Trump s'inscrit dans une rhétorique plus large de rejet du multilatéralisme et des organisations qui le structurent. Dans la droite ligne de ses critiques répétées contre l'ONU, l'Otan, l'OMC ou les traités internationaux, au motif qu'ils auraient systématiquement été conçus au détriment des Etats-Unis et pour les dépouiller. Le président américain n'a d'ailleurs pas manqué de souligner que les Etats-Unis contribuaient à hauteur de 400 à 500 millions de dollars par an à l'organisation, contre environ 40 millions de dollars «et même moins» pour la Chine, investissant son pays du «devoir» de réclamer des comptes.
«Quel manque de vision, alors que la coopération internationale est plus nécessaire que jamais, a regretté sur Twitter Lawrence Gostin, professeur à Georgetown et directeur d'un institut de recherche associé à l'OMS, peu après l'annonce de Trump. Le président a désormais totalement abandonné le leadership des Etats-Unis en termes de santé mondiale.»
During health crisis, cutting @WHO funds disgraceful, causing death as #COVID19 marches into Africa. Now @POTUS has entirely abandoned US global health leadership. It's the saddest time to be an American
— Lawrence Gostin (@LawrenceGostin) April 14, 2020