La trêve est terminée. Elle aura duré moins de quinze jours. L'hospitalisation puis le transfert en soins intensifs de Boris Johnson le 6 avril avaient un peu tari les critiques de la presse et des politiques sur la gestion de la crise du Covid-19 par le gouvernement britannique. Alors que le bilan global de la pandémie continuait de s'alourdir, le Royaume-Uni était resté suspendu à l'évolution de l'état de santé de son Premier ministre. Boris Johnson, testé positif au coronavirus le 26 mars, est sorti d'affaires. Il aura passé trois jours en soins intensifs où il n'a jamais été intubé. Il est désormais en convalescence dans le manoir de Chequers, la résidence de campagne des Premiers ministres au nord-ouest de Londres, où il se repose aux côtés de sa compagne, Carrie Symonds, enceinte du premier enfant du couple.
La date de son retour aux affaires n'est toujours pas connue mais les critiques sur la gestion de l'épidémie par son gouvernement et lui-même en particulier, bien avant qu'il tombe malade, se multiplient. Un très long article du Sunday Times, paru ce dimanche, a placé le gouvernement sur la défensive. Toute la journée, ministres et députés conservateurs se sont succédé pour tenter d'enrayer l'incendie. Sans grand succès.
Obsession du Brexit
Le journal énumère une somme de ratages impressionnants depuis le début de l'épidémie. Il met en exergue le refus très clair du gouvernement de la prendre au sérieux et un manque de préparation crucial lié aux dix dernières années d'austérité mais aussi à une attention – une obsession – portée exclusivement sur… le Brexit et sa concrétisation le 31 janvier. Tests absents ou déficients, équipements de protection pour les personnels de santé manquants, pénurie de respirateurs, l'article décrit une série de manquements vertigineuse, liés en partie à une «attitude confiante, presque nonchalante» affichée fin janvier et «pendant plus d'un mois ensuite».
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La dernière simulation d'une pandémie dans le pays date de 2016, révèle le Sunday Times. A l'époque, elle avait mis en garde contre un effondrement du service de santé et un manque crucial d'équipements de sécurité et de respirateurs. Les recommandations pour répondre à ces manques n'ont «jamais été appliquées», notamment, note une source au journal, «parce que les préparatifs pour un Brexit sans accord ont pris le pas sur ceux pour une pandémie.»
A cette heure, seulement un soignant sur sept, en hôpitaux, estime disposer d’équipement de protection adéquat, selon un sondage YouGov. Plus de 50 membres des personnels de santé du National Health Service (NHS) sont décédés du Covid-19. Par ailleurs, alors que 105 000 voyageurs continuent d’atterrir chaque semaine dans les aéroports britanniques, certains en provenance des Etats-Unis, de Chine ou d’Italie, aucune mesure de contrôle ou de prévention n’ont été instaurées. Les arrivants ne sont pas tenus de se placer en quarantaine et les douaniers pas équipés de matériels de protection. Deux d’entre eux, qui travaillaient à l’aéroport londonien de Heathrow, sont décédés du Covid-19.
Préoccupé par sa vie personnelle
Boris Johnson est particulièrement visé par le Sunday Times. Et notamment ses absences répétées à des moments cruciaux de la crise. Début janvier, alors que les premiers rapports alarmants venus de Chine se multipliaient, le Premier ministre poursuivait ses quinze jours de vacances sur l'île aux millionnaires de Moustique, dans les Caraïbes. En janvier et février, il brillera pas son absence à cinq réunions COBRA (acronyme de Cabinet Office Briefing Room), rencontre au sommet organisée en cas de crise autour des principaux ministres et protagonistes. Ce n'est que le 2 mars que Boris Johnson assistera à sa première réunion COBRA.
Entre-temps, la deuxième quinzaine de février, il est à nouveau en vacances, dans le manoir de Chevering, la résidence de campagne des ministres des Affaires étrangères. Selon le Sunday Times, il y était préoccupé par sa vie personnelle et comment annoncer la grossesse de sa compagne de 32 ans et son prochain mariage à ses quatre enfants, nés de son deuxième mariage avec Marina Wheeler, dont il n'est pas encore divorcé. «Ses conseillers avaient reçu comme consigne de raccourcir la taille de leurs rapports et leur nombre s'ils voulaient qu'ils soient lus.»
Le journal dominical a notamment parlé à un conseiller de Downing Street. «Il est impossible de mener une guerre si votre Premier ministre est absent», a-t-il confié à l'hebdomadaire. «Ce que vous apprenez avec Boris, c'est qu'il ne préside aucune réunion. Il aime ses pauses à la campagne. Il ne travaille pas les week-ends […]. Il y avait un réel sentiment qu'il n'est pas dans la planification urgente des crises.»
Le plus lourd bilan d’Europe ?
Samedi, un autre article, du Financial Times cette fois, sur le fiasco de la fabrication des respirateurs manquants, a aussi lourdement mis en cause «l'inconsistance, le temps perdu et l'égoïsme politique» du gouvernement. Les tentatives du gouvernement pour se défendre, par un interminable communiqué diffusé sur Twitter ou dans des interviews télévisées, n'ont pas vraiment convaincu.
Mardi, le parlement britannique devrait reprendre ses travaux, principalement en vidéoconférence. Le gouvernement devra répondre aux questions d'une opposition travailliste revigorée par l'élection à sa tête de Keir Starmer. Le dernier bilan de l'épidémie au Royaume-Uni se monte à 16 060 morts en hôpitaux, auxquels il faut ajouter au moins 4 000 personnes décédées dans des maisons de retraite, selon l'organisation National Care Forum. Le gouvernement ne fournit toujours pas les statistiques sur les décès en maisons de retraite ou à domicile.
Le 17 mars, Patrick Vallance, conseiller scientifique en chef du gouvernement, affirmait que 20 000 morts pour un bilan total de l'épidémie serait «un bon résultat». Ce nombre, même si la courbe semble s'aplatir ces derniers jours, sera d'ores et déjà dépassé. Le Royaume-Uni pourrait enregistrer, à la fin de cette crise, le plus lourd bilan d'Europe.