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Le Covid-19, nouvelle menace sur la liberté de la presse

Dans son classement annuel, Reporters sans frontières note une absence globale d'amélioration de la situation des journalistes dans le monde. La pandémie permet même à des gouvernements plus ou moins autoritaires de faire taire toute critique médiatique.
Des manifestants proches de la droite conservatrice demandent la fin des mesures de confinement, lundi à Harrisburg, en Pennsylvanie. (NICHOLAS KAMM/Photo Nicholas Kamm. AFP)
publié le 21 avril 2020 à 18h26

Le ton est sombre, les bonnes nouvelles rares. L'édition 2020 du traditionnel rapport de Reporters sans frontières (RSF) sur la liberté de la presse dresse le constat d'une persistance des menaces qui pèsent sur les journalistes. Seuls 47 des 180 pays classés par l'ONG connaissent une situation «bonne» ou «plutôt bonne». Pire, la liberté de la presse a globalement reculé par rapport à 2013, date de la première publication du classement.

Les deux extrémités du classement ont peu changé depuis l'an dernier. Les cinq premières places sont occupées par la Scandinavie et les Pays-Bas, suivis de manière plus étonnante par la Jamaïque et le Costa Rica. En bas de tableau, la Corée du Nord, le Turkménistan et l'Erythrée se disputent les trois dernières positions, suivis de peu par la Chine. Et si le tableau d'ensemble des menaces change peu, certains Etats trouvent des moyens toujours plus originaux d'entraver la liberté de la presse, comme le Nicaragua (117e position), où «face à la pénurie de matières premières (papier, caoutchouc) orchestrée par les autorités, les journaux imprimés du pays ont quasiment tous disparu du paysage médiatique». 

Autre nouveauté de l'année, les attaques contre les journalistes lors des grandes manifestations de 2019, au Chili, en Bolivie, en Equateur ou au Liban. Selon RSF, elles sont le résultat des campagnes de dénigrement des médias, venues parfois du sommet de l'Etat comme aux Etats-Unis ou au Brésil. Dans un registre proche, la France (34e) est épinglée pour les violences policières qui touchent les reporters.

Paradoxe américain

Le rapport note toutefois quelques améliorations locales. La Malaisie gagne 22 places, après une victoire historique de l'opposition aux élections législatives, et le Soudan progresse de seize rangs suite à la révolution qui a chassé l'an dernier Omar el-Béchir du pouvoir. Le pays reste néanmoins en zone noire, synonyme de situation très difficile. Ces progrès sont contrebalancés par d'autres reculs, comme celui d'Haïti qui chute de 21 places pour atteindre le 83e rang. Les journalistes y ont régulièrement été pris pour cible lors des violentes manifestations qui ont ébranlé le pays, sans que rien ne soit fait pour les protéger.

Les Etats-Unis de Trump restent un cas à part. Les quotidiens les plus influents au monde y côtoient un président qui a popularisé le terme «fake news». Résultat de ce paradoxe, les Etats-Unis (45e) rejoignent de justesse la zone jaune, où la situation est considérée comme «plutôt bonne». Le rapport relève que «le harcèlement de journalistes par des agents de la protection des frontières aux points d'entrée dans le pays devient une pratique de plus en plus fréquente depuis deux ans». 

Censure et lois «anti-fake news»

Informer en période de pandémie s'avère souvent encore plus difficile. «La crise sanitaire est l'occasion pour des gouvernements autoritaires de mettre en œuvre la fameuse "doctrine du choc" : profiter de la neutralisation de la vie politique, de la sidération du public et de l'affaiblissement de la mobilisation pour imposer des mesures impossibles à adopter en temps normal», pointe RSF. Pour des gouvernements déjà peu respectueux de la liberté d'information, l'épidémie a permis d'imposer l'instauration de lois «anti-fake news», qui permettent surtout de sanctionner toute critique de la gestion du Covid et toute mise en doute des bilans officiels.

En Hongrie (89e rang), la loi d'exception de lutte contre le virus punit la diffusion de fausses informations de cinq ans de prison. «Le pouvoir exécutif pourra, dans un premier temps, décider arbitrairement si une information est vraie ou fausse», précise RSF. Une disposition inquiétante dans un pays où le gouvernement traite régulièrement les journalistes indépendants de «menteurs». Dans le même esprit, aux Philippines, la «loi sur l'effort commun pour guérir ensemble» octroie des pouvoirs spéciaux au gouvernement pour poursuivre tout média qui publierait une information contraire au discours officiel. Deux journalistes encourent actuellement deux mois de prison pour ce motif.

Plus les régimes sont autoritaires, plus ce durcissement s'est fait sentir. Ainsi en Egypte, qui est déjà l'un des pays qui emprisonne le plus les journalistes, une douzaine de nouveaux sites et blogs d'informations ont été fermés sans ménagement, et les journalistes qui remettent en question le bilan officiel ont été privés de leurs accréditations. En Chine, «le gouvernement a profité de la crise pour durcir encore davantage son contrôle des médias, interdisant la publication de toute information remettant en cause sa gestion». Au moins trois journalistes et trois commentateurs politiques y ont été arrêtés depuis le début de l'épidémie. Ils ont rejoint la centaine de reporters déjà emprisonnés. Seize correspondants étrangers ont été expulsés. Les débuts de l'épidémie, où le virus a prospéré dans l'ombre grâce à la censure et aux pressions sur les lanceurs d'alerte, avaient pourtant rappelé une nouvelle fois l'importance parfois vitale de la liberté d'informer.