Quelque part entre une parade de bikers, un raout libertarien et la chauffe d'un meeting de Trump, des opposants aux mesures de confinement ont manifesté à Harrisburg, la capitale de la Pennsylvanie, lundi midi. Avec ou sans masques, peu soucieux de la distanciation sociale, plusieurs centaines de personnes se sont agglutinées sur les marches du Capitole de l'Etat pour demander la «réouverture de l'économie» et le «retour de [leurs] emplois» lors d'un rassemblement semblable à ceux qui ont eu lieu ces derniers jours dans le Michigan, en Californie ou encore dans le Colorado.
Dans leur viseur : la «surréaction» de l'Etat, et surtout de son gouverneur démocrate, Tom Wolf. Le Keystone State, Etat clé pour la présidentielle de novembre, tombé de justesse dans l'escarcelle de Trump en 2016, est l'un des plus touchés par le Covid-19 : plus de 33 000 cas dépistés, plus de 1 200 morts. Et après plus d'un mois de confinement, près de 20 % des Pennsylvaniens au chômage. «Ça fait six semaines que je ne peux plus travailler et que je n'ai aucun revenu : je n'ai pas encore reçu le moindre dollar en d'allocation chômage, s'agace Denise, une esthéticienne. J'ai deux bouches à nourrir, un prêt à rembourser… Ces fermetures, c'est de la folie.»
«Rébellion». Cette mère célibataire, qui se définit d'emblée comme une «Latina pro-Trump», a entendu parler du rassemblement sur Facebook. «Mais j'étais sur le point d'organiser ma propre rébellion», affirme-t-elle. Comme de nombreux manifestants, Cole, lui, critique la distinction faite entre les travailleurs «essentiels» et «non essentiels», catégorie dans laquelle il est tombé. Ce masseur trentenaire du comté de Bedford se dit «excédé» : «Je peux acheter un Whopper chez Burger King, mais je ne peux pas travailler pour nourrir ma famille.» Il suggère de «confiner les seniors et les plus vulnérables», mais de «rendre leur liberté aux autres, capables d'observer des pratiques d'hygiène de bon sens. La Terre ne devrait pas s'arrêter de tourner à cause d'un virus !»
Les petits commerces sont particulièrement touchés. La semaine dernière, la cagnotte de 349 milliards de dollars (321 milliards d'euros), prévue par le colossal plan de sauvegarde de l'économie voté par le Congrès fin mars, était déjà à sec, et les élus discutent en ce moment d'une rallonge. «Le gouvernement nous a imposé de fermer sans compensation, enrage David Sieberg, un prêteur sur gages. Je reçois des appels de gens en larmes qui me supplient de leur acheter des objets, mais je ne peux rien faire…» Le sexagénaire s'emporte : «On ne peut pas aller à l'église, ce qui est une violation du premier amendement. De manière générale, ça devrait être à nous de choisir si on souhaite prendre des risques ou non, pas au gouverneur.»
A l'unisson des protestataires, Samantha, deux enfants et un emploi de secrétaire réduit a minima, trouve que Trump fait «du super bon boulot» dans sa gestion de la pandémie. Elle a reçu la semaine dernière le chèque du gouvernement fédéral, un paiement direct issu du package du Congrès. «Ça nous aide bien ce mois-ci, mais je n'ai pas envie de vivre aux crochets de l'Etat. Moi, je veux travailler et gagner mon propre argent !» Alors que le gouvernement fédéral n'était pas autant intervenu dans la vie quotidienne des Américains depuis des générations, les manifestants de Harrisburg ont voulu rappeler l'importance de leurs «libertés individuelles garanties par la Constitution». Un groupe de jeunes hommes armés a paradé devant le Capitole pour le rappeler. «Citoyens, pas sujets», résume une pancarte.
Concessions. «Moi je suis prête à reprendre le travail malgré la menace d'être infectée», assure Denise. Elle dit qu'elle a surtout «très peur du gouverneur» : «Il abuse de ses pouvoirs en me dictant ma conduite : nous vivons dans un pays libre, pas dans un pays communiste.» Poussé par une législature contrôlée par les républicains, Tom Wolf a pourtant déjà fait quelques concessions, autorisant dès le 8 mai la vente en ligne pour les concessionnaires, la réouverture partielle de certains magasins et le redémarrage de quelques chantiers.
En face, Trump souffle le chaud et le froid. Après avoir présenté jeudi un plan de réouverture par étapes, il a appelé le lendemain sur Twitter à «libérer» certains Etats. Exprimant son soutien aux contestataires, il a plusieurs fois affirmé que les gouverneurs (démocrates) de certains Etats allaient «trop loin».
Si les préoccupations économiques des manifestants sont bien réelles, l'organisation de leurs raouts semble, elle, plus téléphonée. Parmi leurs soutiens, les groupes conservateurs qui avaient joué un rôle prépondérant dans l'avènement du Tea Party, a noté lundi Theda Skocpol, prof à Harvard : «Ils envoient le signal aux activistes locaux que c'est le moment de sortir et de faire du bruit […] pour créer un spectacle médiatique. Ce n'est pas une vague spontanée.»