Le Parlement de Westminster impose le respect. Ce n'est pas pour rien qu'on le surnomme souvent la «mère des Parlements». L'idée est là. Celle d'une démocratie parlementaire ancienne et sophistiquée, qui fonctionne, plutôt bien, sans Constitution écrite, en se fondant sur des précédents et un texte datant de 1215, la Magna Carta Libertatum, la grande charte des libertés.
Ce Parlement est aussi un repaire de traditions et de règles ancestrales obscures, et parfois même absurdes, dont souvent personne ne connaît même l’origine. Il convient de les respecter sous peine de voir un drôle d’individu en collant serré noir et collerette blanche vous prier de quitter immédiatement les lieux.
Dans la Chambre des communes, les députés usent de circonvolutions pour s'insulter, disent «mon honorable ami» ou «l'honorable gentleman». On ne sort de la Chambre qu'en marche arrière et on n'oublie pas de saluer d'un signe de tête le «Speaker», le président des débats, ou son trône vide s'il n'est pas là. Bref, on est au XXIe siècle, mais parfois aussi au XIVe.
Immenses écrans
Pourtant, même le Leader of the House, le député conservateur Jacob Rees-Mogg, d'habitude plus XIVe que XXIe, a encouragé la reprise des débats dans une Chambre des communes hybride, à moitié physique et à moitié virtuelle. Mercredi, seuls 50 députés sur 650 avaient été autorisés à venir. Les autres étaient chez eux et apparaissaient, au fil des questions, sur d'immenses écrans accrochés en hauteur autour des balcons qui surplombent la salle. «En 1349 quand la peste noire a frappé ce pays, le Parlement n'avait pas pu siéger. Grâce aux technologies modernes, même moi j'ai évolué depuis 1349», avait plaidé Jacob Rees-Mogg.
La séance hebdomadaire des «questions au Premier ministre» ce mercredi était donc à plus d'un titre historique. Outre sa semi-virtualité, c'était aussi la première fois que le nouveau dirigeant du Labour, Keir Starmer, demandait des comptes au Premier ministre en tant que chef de l'opposition. Sauf que Boris Johnson était absent, encore en convalescence, et remplacé par son numéro 2, Dominic Raab, ministre des Affaires étrangères.
Fleurs blanches sur fond gris perle
Quelques députés «n'ont pu se connecter» mais, globalement, questions et réponses ont fusé comme à l'ordinaire. Seuls manquaient les huées et autres onomatopées qui ponctuent en général ces moments. Les députés confinés chez eux avaient reçu comme consigne de choisir un décor «neutre» en fond d'écran. L'interprétation du «neutre» est restée très libre. Certains ont, inévitablement, affiché leurs superbes bibliothèques, d'autres leur goût certain pour l'art moderne. Le travailliste Stephen Kinnock a posté sur Twitter une photo de son iPad installé en équilibre contre une paire de baskets, elles-mêmes perchées dangereusement en haut d'une étroite commode. D'autres ont poussé la sophistication très loin. Le conservateur Nick Fletcher avait assorti sa tenue, costume gris perle sur chemise blanche, à son papier peint, fleurs blanches sur fond gris perle. L'Ecossais Ian Blackford, chef du Scottish National Party (SNP) au Parlement, n'a pas hésité à témoigner de son amour immodéré pour le football en plaçant dans son dos deux ballons de foot signés.
L’expérience était fascinante. Notamment parce que, dans ce cadre habituellement si codé et si compassé, tous ces députés ont un peu dévoilé leur vie privée et leurs intérieurs. On a deviné les sages, qui suivent les instructions à la lettre, ri face aux rebelles ou originaux. Et on a aussi compris, en regardant leurs épis mal placés, les traces des racines ou les cheveux frôlant les cols de chemise que, député ou pas, après cette crise du coronavirus, on aura tous besoin d’un bon coiffeur.