Face au Covid-19, Cyril Ramaphosa, le président sud-africain, s'est taillé une stature de guide de la nation. Sa cote de popularité est montée en flèche pour sa gestion de l'épidémie, qui a fait 75 morts dans le pays. Terrifiés par les images dramatiques de Chine, d'Italie, des Etats-Unis, les Sud-Africains ont, en très grande majorité, applaudi l'annonce d'un confinement, qui a débuté le 27 mars. Les règles sont pourtant parmi les plus strictes au monde : pas de promenade, pas de plats à emporter, pas de vente de cigarettes et d'alcool.
Le ministre de la police, Bheki Cele, parfaitement à l’aise dans son rôle de garant de la prohibition, a prévenu que les contrevenants seraient sévèrement punis. Le ministre brandit, pour argument justificatif, les statistiques, qui montrent une forte chute du nombre de crimes violents au cours des dernières semaines, et ne cache pas son souhait de voir les débits de boisson fermés à jamais.
Plats cuisinés interdits
Un marché clandestin a émergé, les prix ont flambé, les stocks s’écoulent discrètement auprès de ceux qui ont encore les moyens d’acheter. Les autres, mis au régime sec, prennent leur mal en patience. Avec l’humour pour seul exutoire, les blagues, caricatures et mèmes sur le sujet ont fleuri. Et Cyril Ramaphosa a conservé le soutien d’une Afrique du Sud qui a décidé de placer sa confiance en lui, et a accepté de faire des concessions pour l’intérêt collectif. Même les principaux partis d’opposition lui ont donné leur bénédiction.
Mais, lorsque, la semaine dernière, après l'annonce de l'extension du confinement jusqu'à la fin du mois d'avril, le ministre du Développement économique, Ebrahim Patel, a déclaré, l'air satisfait, que la vente de plats cuisinés serait désormais strictement interdite dans les supermarchés, le vase de la frustration a débordé. Les réactions, de l'incompréhension, aux accusations d'abus de pouvoir, ont déferlé dans la presse et sur les réseaux sociaux. «Ce que l'Etat a fait, c'est imposer un édit religieux aux Sud-africains adultes. […] La vérité est qu'il s'agit clairement d'une tentative ridicule de satisfaire un certain désir de contrôler», estime Mondli Makhanya, le rédacteur en chef de l'hebdomadaire City Press, tandis que le journal économique Business Day qualifie les conseillers du chef de l'Etat de «Gestapo du poulet rôti».
Fatigués, enfermés, parfois affamés
Des sourcils se sont levés aussi à l’annonce, cette semaine, de la mobilisation de 70 000 soldats supplémentaires dans le cadre la lutte contre l’épidémie. Au moins une dizaine de personnes ont été tuées depuis fin mars par les forces de sécurité pour des infractions présumées aux règles du confinement.
Les autorités peuvent toujours compter, en renfort, sur le soutien d’une armée de bons citoyens qui, cachés derrière leurs rideaux, sont prêts à lancer l’alarme à la vue du moindre joggeur ou chien en laisse. Mais, dans un pays où l’attachement à des libertés individuelles durement gagnées est particulièrement fort, ils sont aussi de plus en plus nombreux, fatigués, enfermés, parfois affamés, à questionner le fondement de certaines mesures, et les méthodes utilisées pour les imposer.