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Examen

En Hongrie, le baccalauréat organisé en plein Covid

L’exécutif hongrois maintient les épreuves ce lundi, comme un test de déconfinement à petite échelle. Une initiative qui terrifie les élèves après plusieurs semaines de communication officielle anxiogène.
Des étudiants dans l’Université d’Europe centrale, à Budapest, en janvier 2019. (Photo Chris McGrath. Getty Images. AFP)
publié le 3 mai 2020 à 19h06

Ce lundi en Hongrie, c’est le jour J pour environ 80 000 lycéens : les épreuves écrites du bac commencent en pleine pandémie. Alors que tous les établissements scolaires et universitaires restent fermés jusqu’à nouvel ordre, les autorités ont décidé de maintenir les examens. Après avoir hésité et refilé le bébé au secrétaire d’Etat à l’Education, Maruzsa Zoltán, qui a donné le feu vert. Et bien que Viktor Orbán ait indiqué, le 19 avril, que l’épidémie atteindrait son pic autour du 3 mai. Cette dernière a fait officiellement 340 morts et contaminé près de 3 000 personnes pour 9,8 millions d’habitants.

«Lâcheté»

Certes les candidats au bac ont le choix : plancher lundi ou bien lors d'une autre session en octobre. Mais la rentrée universitaire n'ayant pas été reportée, passer l'examen cet automne signifie qu'un bachelier désireux de poursuivre ses études ne pourra s'asseoir sur les bancs de la fac qu'en 2021. Pour Roland Lehovicz, élève de terminale de 19 ans, pas question de perdre un an. Ce grand brun passionné de théâtre brûle d'impatience de passer le concours de l'Ecole d'art dramatique. Il est en colère contre le gouvernement. «Si on dit que le pic est prévu autour du 3 mai, alors je n'arrive pas à comprendre pourquoi les pouvoirs publics veulent organiser le bac maintenant. Ils n'ont pas pris de décision. En fait, ils ont évité de décider. Et en plus, ils osent dire que c'est aux élèves de choisir ! Ça montre vraiment leur lâcheté et leur incompétence.»

Selon une enquête menée par des chercheurs sur 3 000 lycéens, plus de 80 % sont opposés à la tenue actuelle des examens et estiment qu'elle comporte des risques sanitaires. Comme Roland, de nombreux lycéens iront aux examens la peur au ventre. «Si des dizaines de milliers de personnes se déplacent pour aller aux épreuves, il y aura plus de victimes, c'est sûr. Peut-être pas parmi les bacheliers, mais parmi nos profs et leurs enfants. Ils courent au moins autant de risques que nous», écrit la lycéenne Luca Nyáry sur un blog, ajoutant : «Je trouve inadmissible qu'on oblige des dizaines de milliers de jeunes à choisir entre leur santé et leurs études.»

Pourtant, toutes les précautions ont été prises, assure à la radio publique le secrétaire d'Etat à l'Education : «Il n'y aura pas d'oral, seulement des écrits. Nous fournirons des masques, ainsi que du gel hydroalcoolique à ceux qui le souhaitent, et les écoles seront nettoyées pendant toute la durée des épreuves. Il n'y aura pas plus de 10 candidats par salle, avec un espacement de 1,50 mètre entre les tables.» De plus, le virus étant supposé survivre plusieurs heures sur le papier, les copies seront placées dans des enveloppes et ne seront remises aux enseignants que vingt-quatre heures plus tard.

Pas suffisant pour rassurer élèves et enseignants. La majorité des syndicats et associations ont proposé de repousser l’examen, ou de remplacer le bac par une moyenne des notes du contrôle continu. Mais c’est peine perdue.

Certes, Viktor Orbán a récemment affirmé que le virus était sous contrôle. «Nous entrons dans une nouvelle phase. Ensemble, nous allons faire en sorte que la vie reprenne petit à petit en Hongrie.» D'après le portail 444.hu, lors d'une visioconférence organisée le 23 avril par le ministre de l'Innovation et de la Technologie, László Palkovics, des données anonymes auraient été fournies par les opérateurs télécoms. Les contacts sociaux auraient chuté de 90 % à Budapest, contribuant ainsi à freiner la progression de l'épidémie.

Toutefois, la décision de maintenir le bac a été publiée dès le 16 avril au journal officiel. Le pic annoncé s’est donc peut-être transformé en plateau, moment où l’épidémie progresse moins vite. Le hic est que Viktor Orbán a répété pendant des semaines que le pic approchait, ordonnant même aux hôpitaux de libérer 60 % des lits pour faire face à un éventuel afflux de cas. Cette communication anxiogène a accentué l’angoisse des Hongrois.

Soupçons

Autre problème : le gouvernement nationaliste contrôle étroitement les informations sur sa stratégie antivirus et les courbes d'infection. Il n'y a aucun chiffre par région, par ville ou par hôpital. Selon plusieurs scientifiques, le nombre de cas réels serait cinq fois plus élevé. Tout cela nourrit les soupçons. «Les pouvoirs publics veulent commencer le déconfinement d'une manière ou d'une autre, pour relancer un peu l'économie. J'ai quand même l'impression que les autorités font une expérience sur des humains, pour voir ce que ça donne si on oblige 150 000 personnes à sortir en même temps et à se mettre en contact», juge Katalin Törley, représentante de Tanítanék, un collectif d'enseignants progressistes. Outre les lycéens, 50 000 élèves doivent aussi passer le brevet courant mai.

Viktor Orbán a l'œil rivé sur l'Autriche, son modèle, où le déconfinement a commencé. «C'est notre laboratoire», a-t-il dit. Mais contrairement à l'Autriche, qui a pratiqué un dépistage massif (15 000 tests par jour depuis la fin mars), la Hongrie n'a dépisté à ce jour que 32 000 personnes. Difficile de savoir si l'épidémie est vraiment sous contrôle.