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Libération
Portraits

Les coronavisages de la crise

Personnel de santé, politiques, patronne d’Ehpad, artistes, sportif, famille endeuillée… Pendant le confinement, de nombreuses personnalités ont émergé dans l’actualité. «Libération» en a sélectionné une quinzaine. Portraits.
Didier Raoult. (Photo Olivier Monge. MYOP)
publié le 8 mai 2020 à 21h06

Ces cinquante-cinq jours de confinement resteront gravés éternellement dans nos mémoires. Cinquante-cinq jours à frémir chaque soir devant la litanie des hospitalisations et des morts du Covid-19, cinquante-cinq jours à occuper avec divers bonheurs - ou malheurs - des journées longues comme une nuit sans sommeil, cinquante-cinq jours à craindre de perdre son travail ou de ne jamais en (re)trouver, cinquante-cinq jours à tenter de raffermir avec les moyens du bord des corps ramollis par le manque d'exercice et les recettes de cuisine testées à la chaîne, cinquante-cinq jours à pleurer devant le soleil éclatant et inatteignable, là, de l'autre côté de la fenêtre, et à rire devant les vidéos-gags découvertes sur les réseaux sociaux, cinquante-cinq jours à guetter le moindre signe d'espoir dans les explications des médecins, cinquante-cinq jours à écouter, accablés, les discours de politiques dépassés par la situation, cinquante-cinq jours à lire goulûment la moindre information crédible sur cette pandémie, à relire aussi quelques bons vieux classiques tels Albert Camus qui avait tout compris avec La Peste ou Marcel Proust qui en savait un rayon sur la Recherche du temps perdu.

Cette période inédite dans l’histoire récente aura surtout permis de mettre en lumière des personnes que l’on ne regardait plus ou que l’on ne connaissait pas encore. Et d’abord toutes celles et tous ceux que l’on a regroupés sous le même vocable de «soignants» ou de «première ligne» : les infirmières, les médecins, les équipes du Samu, les aides-soignant(e)s applaudis tous les soirs à 20 heures sur des balcons devenus lieux de sociabilisation et sans qui la vie, pour beaucoup, se serait arrêtée là. Mais aussi celles et ceux de la «deuxième ligne», les caissier(e)s, les manutentionnaires, les éboueurs, les livreurs, les boulanger(e)s, les épicier(e)s, les conducteurs de bus ou de trains, et même les agriculteurs et les profs qui ont permis de tenir à bout de bras un pays menacé de paralysie. A tous ces anonymes du quotidien se sont ajoutées les nouvelles vedettes de nos petits écrans. Il y a bien sûr l’omniprésent Didier Raoult, le fameux savant de Marseille dont la (grande) gueule a fait le tour du monde et qui est parvenu à populariser un mot aussi barbare que «hydroxychloroquine». Jérôme Salomon, le directeur de la Santé, et Olivier Véran, le successeur d’Agnès Buzyn au ministère de la Santé, sont au fil des jours devenus des visages plus familiers que ceux de nos voisins de palier. Et puis tous ces puits de science, médecins, épidémiologistes, chefs de service de rea, hommes ou femmes, qui se sont succédé sur les plateaux télé pour expliquer le plus pédagogiquement possible la crise que nous étions en train de traverser. Ou encore ces comédien (ne) s et artistes, stoppés en pleins préparatifs de spectacles. Ils et elles sont en quelque sorte les visages de cette crise inédite. Nous aurions pu en faire un numéro entier, nous en avons sélectionné quelques-uns(e) s, comme autant de symboles de ces cinquante-cinq jours à retenir notre souffle.

Les scientifiques stars Jean-François Delfraissy, Didier Raoult, Karine Lacombe

Ils sont trois. Il y a Jean-François Delfraissy, intouchable président du conseil scientifique, image sans tache de ce qui se fait de mieux dans la médecine française. Il est là, rassurant, sachant à l’occasion sonner l’alarme. Depuis plus de trente ans, il est en première ligne, du sida à Ebola, en passant par le Sras, occupant tous les postes à responsabilité. A la tête du Comité consultatif national d’éthique, il pensait avoir une retraite tranquille. Le Covid-19 a tout cassé, y compris ses certitudes.

Il y a aussi l’iconoclaste Marseillais, le professeur Didier Raoult. Ce médecin chercheur est à part. Ayant mené toute sa carrière en faisant un pas de côté, homme de talent et chercheur de bon sens, il aime les projecteurs. Depuis qu’il s’est construit un empire sur la canebière avec l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) en maladies infectieuses qui le rend incontournable, il avance à son seul rythme. L’histoire retiendra de lui, peut-être plus que son hydroxychloroquine, son talent à mettre les pieds dans le plat.

Et puis il y a la professeure Karine Lacombe, qui dirige le service des maladies infectieuses de l’hôpital Saint-Antoine. C’est une médecin aussi efficace qu’obstinée. Elle fait partie de cette nouvelle génération d’infectiologues qui n’a pas connu le début du sida. A la différence de ses aînés, elle sait jouer collectif, n’a pas peur des médias. On lui a reproché ses liens avec certains labos, elle s’en défend sans complexe. Elle n’a pas eu peur de critiquer son collègue marseillais. Elle est ainsi : en aucun cas elle ne baissera les bras devant un quelconque nouveau virus.

Brett Crozier.

Photo Seaman Alexander Williams. U.S. Navy. AP

Un commandant à recommander Brett Crozier

La Maison Blanche et l'armée américaine partagent la même aversion pour les critiques, surtout de l'intérieur. Brett Crozier, commandant du porte-avions USS Theodore-Roosevelt, en a fait les frais. Le 22 mars, un premier marin de ce fleuron de la flotte du Pacifique est testé positif. Ils sont vite des douzaines. Le navire est autorisé à accoster à Guam, mais pas à évacuer. Alors, dans une lettre qui brise la sacro-sainte chaîne de commandements et fuite, Crozier s'alarme : «Nous ne sommes pas en guerre. Nos marins ne méritent pas de mourir.» Renvoyé le 2 avril, il quitte le navire sous les acclamations. Lui-même contaminé, le capitaine est érigé en héros par les démocrates qui en font un symbole de la gestion désastreuse de Trump. Le chef de la Navy, qui l'avait limogé, est poussé à la démission. Crozier, 50 ans, pourrait être réintégré. Sur les 4 800 hommes du Roosevelt, finalement évacués, un quart ont contracté le virus, un marin en est mort. Combien sans l'intervention de Crozier ?

Ai Fen.

Photo DR

L'urgentiste lanceuse d'alerte Ai Fen

La menace était là, les ravages déjà visibles. Alors ils ont alerté du danger. Mais dans la Chine autoritaire du petit père des peuples Xi Jinping, les lanceurs d'alerte n'ont pas droit de cité. Surtout pour pointer les ratés, dénis et mensonges du parti-Etat. Cheffe du service des urgences de l'hôpital central de Wuhan (Hubei), où a démarré l'épidémie, Ai Fen découvre le 30 décembre que des patients hospitalisés pour une infection pulmonaire inconnue sont atteints d'un coronavirus du Sras, un syndrome respiratoire aigu sévère déjà apparu en Chine en 2003. Elle transmet l'information à ses collègues. Dans les heures qui suivent, Ai Fen est «sévèrement réprimandée» par le bureau disciplinaire de l'hôpital et s'engage à ne plus rien dire. Mais l'information circule déjà. Li Wenliang, ophtalmologue de 34 ans au sein du même hôpital, l'a communiquée via la messagerie WeChat. Lui aussi est menacé par les autorités sanitaires et policières pour divulgation de «fausses rumeurs». Ce n'est que le 20 janvier que les autorités chinoises reconnaissent la contagiosité du virus et la transmission interhumaine. Diagnostiqué positif, Li Wenliang meurt le 6 février, suscitant émoi et hommages. Portée disparue, Ai Fen a refait surface le 13 avril pour informer qu'elle travaillait. En silence.

Izkia Siches.

Photo DR.

La médecin chilienne en colère Izkia Siches

Mardi, lors d'une réunion avec le président chilien, l'ultralibéral Sebastián Piñera, Izkia Siches a tapé du poing sur la table. «Il n'y a pas de "nouvelle normalité"», s'est-elle enflammée, réfutant l'expression du gouvernement pour justifier l'allégement du confinement afin que l'économie reprenne malgré la hausse des contaminations. Depuis deux mois, la présidente de l'Ordre des médecins, 34 ans, dénonce la politique sanitaire du gouvernement. Même si, avec 294 morts et près de 26 000 contaminations vendredi, le Chili est loin des chiffres du Brésil ou du Pérou. En 2017, elle était devenue la première femme patronne des médecins du pays. «Ce poste était le monopole des hommes blancs et conservateurs, avait-elle réagi, moi, je suis une femme de gauche à la peau mate, aux yeux bridés, à moitié aymara [peuple autochtone, ndlr].»

Les Creustel.

Photo DR

Le couple d'acteurs qui fait coup double Marion Creusvaux et Julien Pestel, alias les Creustel

Il ne s'agit pas tant de figures que de voix. Celles des Creustel, nom-valise du duo d'auteurs et acteurs Marion Creusvaux et Julien Pestel. Couple à la ville, suivant l'expression consacrée, mais surtout à demeure, désireux d'égayer les esprits en cage. Leurs faits d'armes les rattachaient à la série Kaamelott et aux sketchs du Palmashow, deux totems dans le kit pop culture du trentenaire circa 2010 qui aime se tenir les côtes. Le 17 mars, le duo entreprend de poster sur YouTube et Instagram des extraits de films re-doublés par leurs soins, de sorte à épouser les tourments et non-événements qui meublent l'ordinaire du confinement. Jour 1, scène de ménage entre Al Pacino et Diane Keaton, fumasse qu'on ait annulé le concert de Maître Gims au prétexte d'«une petite grippe». Jour 10, DiCaprio n'en peut plus de regarder des téléfilms de Noël sur M6 «alors qu'on est fin mars». Devenu viral, le numéro de ventriloques fait fleurir les trivialités dans la bouche d'idoles du Hollywood prestige et décongestionne les frustrations entre deux allocutions martiales de l'Elysée. Dans le roulis des jours saumâtres où la culture affronte le péril d'une mort clinique, le duo se mue en coqueluche d'un comique de la catastrophe exutoire, et vient taquiner ce que le ridicule dispute au désespoir.

Boris Johnson.

Photo Reuters

L'homme malade de l'Europe Boris Johnson

Boris Johnson, du Brexit au breakdown. Quelques mois après avoir orchestré la sortie du Royaume-Uni de l'UE, le chef du gouvernement devient le dirigeant international le plus atteint par le virus. Alors que toute l'Europe se confinait, «BoJo» continuait de minimiser le danger du Covid, serrant des mains à la pelle, refusant d'adopter les gestes barrières et d'imposer des mesures trop contraignantes. Inspiré par ses conseillers scientifiques, il claironnait que l'immunité collective (si 70 % de la population est contaminée, le virus devient inoffensif) est la bonne stratégie. Le 27 mars, il annonce être positif et s'isole au 10 Downing Street, tout en continuant à gouverner par visioconférence. Le 5 avril, il est hospitalisé, puis transféré en soins intensifs et placé sous assistance respiratoire pour finalement quitter le St Thomas' Hospital le 12. Le 29 naît son sixième enfant, le premier avec Carrie Symonds. Il se prénomme Wilfred Lawrie Nicholas, en hommage aux deux médecins qui lui ont sauvé la vie. Deux toubibs du NHS, une institution publique victime des coupes budgétaires imposées par dix ans de gouvernements conservateurs. L'épidémie de Covid a poussé BoJo à rouvrir la manne des subventions. A new Boris Johnson is born ? Vendredi 8 mai, il a comparé la lutte contre la pandémie à la Seconde Guerre mondiale. Avec plus de 30 000 morts, le Royaume-Uni est le pays européen le plus endeuillé par la pandémie.

Valérie Martin.

Photo DR

La directrice d'Ehpad avisée Valérie Martin

C'est un choix atypique que Valérie Martin, directrice de l'Ehpad associatif Vilanova de Corbas (Rhône), a fait le 18 mars : confiner les 108 résidents de la maison de retraite avec la trentaine d'employés nécessaires à la vie de la structure. Objectif : limiter au maximum les va-et-vient avec l'extérieur et empêcher l'entrée du coronavirus. La vie s'organise pour accueillir ces nouveaux «résidents», des dortoirs sont improvisés dans les salles de gym, de réunion ou les bureaux. Le 4 mai, à J +47, l'opération est gagnée : aucun décès lié au Covid-19, ni un seul cas positif. Le personnel confiné peut retourner à la maison. «Tout va bien et tout ira bien», écrit sur Facebook Valérie Martin, qui a tenu la plume pendant sept semaines pour raconter une «aventure» hors du commun et tenir les familles informées. Rétrospectivement, sa décision apparaît pertinente, alors que nombre d'Ehpad ont souffert de directives à tout le moins légères, permettant l'entrée quotidienne de soignants parfois asymptomatiques mais malades, et peu équipés en matériels de protection. Depuis début mars, sur plus de 26 000 morts du Covid-19 en France, la moitié vivaient en Ehpad.

Lila Bouadma.

Photo Marie Rouge

La réanimatrice battante Lila Bouadma

Discrète au point d'être quasi invisible, la professeure Lila Bouadma, en charge de la réanimation de l'hôpital Bichat, à Paris, est la révélation de cette bataille contre le Codiv-19. Elle n'a pas 50 ans, elle est née près de Belfort. Ses parents, algériens, ne savaient ni lire ni écrire. Membre du conseil scientifique, la voilà aujourd'hui tout en haut de la profession médicale, et elle est très écoutée. «Réanimateur, c'est un métier. Cela ne s'improvise pas», nous a-t-elle dit pour un portrait (Libération du 7 avril) . Dans son service, le personnel soignant, dont elle est très proche, n'a quasiment pas été infecté. Pour elle, la médecine hospitalière est d'abord un travail d'équipe. «En réa, si les infirmières sont bonnes, alors tout est bon !» insiste-t-elle. C'est une combattante. Très professionnelle, elle ne lâchera rien, aussi mystérieuse que la guerre qu'elle mène en avant-garde, au sous-sol de la tour de Bichat.

Jean-Jacques Razafindranazy.

Photo DR

Le premier médecin tombé Jean-Jacques Razafindranazy

Sa photo a circulé partout. On le voit radieux, visage rond, yeux rieurs, moustache poivre et sel, vêtu de sa blouse blanche de médecin. Et son histoire a été racontée maintes fois. Urgentiste retraité, il continuait à assurer plusieurs gardes hebdomadaires dans son hôpital de Compiègne, dans l’Oise, même lorsque le virus a débarqué avec toute sa férocité en février. Jean-Jacques Razafindranazy, 68 ans, est mort le samedi 21 mars. Il est considéré comme le premier soignant français tué par le Covid-19.

Depuis, d'autres en sont morts et les hommages se sont multipliés. Mais combien sont-ils à avoir payé leur engagement de leur vie ? On ne le sait pas précisément. Car, jusqu'ici, le ministère de la Santé n'a jamais communiqué sur ce décompte. Il y a deux semaines, les autorités ont bien annoncé une «remontée des signalements de cas» imminente. Mais toujours rien.

La famille Fusco.

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La famille martyre Les Fusco

Emblématique de la contagiosité du Covid-19, la tragédie des Fusco aux Etats-Unis a fait le tour du monde. En une semaine mi-mars, quatre membres de cette famille d’origine italienne établie dans le New Jersey y ont succombé : la matriarche, Grace, 73 ans, et trois de ses onze enfants - sa fille aînée, Rita, et ses fils Carmine et Vincent. Les deux frères, figures du milieu hippique local, ont sans doute contracté le virus au contact d’un ami entraîneur - première victime officielle de l’épidémie dans l’Etat - avant de le propager lors d’un repas familial. Plus d’une vingtaine de membres du clan Fusco ont été placés en quarantaine. Deux d’entre eux, un temps dans un état critique, ont survécu. Décimée, confinée sans pouvoir enterrer ses défunts, la famille a vécu un enfer et ému l’Amérique. Seule infime consolation : Grace Fusco est décédée sans savoir que deux de ses enfants avaient déjà perdu la vie.

Jan Frodeno.

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Le triathlète qui ne ménage pas son record Jan Frodeno

Il y ceux qui ont couru un marathon sur leur balcon ou dans leur jardin. Ceux qui ont continué à faire du jogging, ceux qui s'y sont mis, ceux qui s'y sont remis. Ceux qui continueront, ceux qui arrêteront dès lundi. Et puis il y a Jan Frodeno. Le champion olympique 2008 a réussi un triathlon confiné. Et pas n'importe lequel. Un Ironman, le must de la discipline. Coincé dans sa villa à Gérone (Espagne), l'Allemand de 38 ans a crawlé 3,8 km dans sa piscine avec un contre-courant en 47 min 30 sec. Puis a incendié ses cuisses en pédalant 180 km sur son home trainer et enfin tricoté des gambettes pendant 42,195 km et 2 h 58 sur son tapis de course. Soit 225,995 km en 7 h 47' 30", 3' 43" de mieux que son record en 2019, sur l'Ironman d'Hawaï (le plus prestigieux), malgré un problème mécanique pendant son marathon. Diffusée en direct, sa performance lui a rapporté plus de 200 000 euros, qu'il a reversés à des associations caritatives engagées dans la lutte contre le Covid.

Julie Mamou-Mani.

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L'instagrameuse LOL Julie Mamou-Mani, alias @Mamouz

Elle n'a pas sauvé de vies (quoique) mais elle a largement contribué à alléger les nôtres pendant le confinement. Julie Mamou-Mani, plus connue sous le pseudo @mamouz, a «cassé les Internets» avec son compte Instagram. A coups de posts humoristiques toujours bien sentis, à la lisière du caustique, glanés sur le Net ou créés par ses soins, la Parisienne de 45 ans est parvenue à réunir plus de 37 600 amateurs de LOL sur son profil, contre 5 500 avant le confinement. Entre autres pépites, on trouve : «Il y a tellement de médecins sur les plateaux télé que quand on appelle le 15, on tombe sur le standard de BFM», «Je n'enlève jamais le masque le premier soir», «Pour résumer : les pains au chocolat restent chez eux, les chocolatines peuvent sortir» ou une fausse pub pour «Jean-Louis Covid», coiffeur pour confinés. Hyperactive, cette ancienne journaliste, mère de deux ados, devenue productrice, notamment de podcasts, collabore aussi avec la Maison des femmes de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) et Abri de femmes, qui viennent en aide aux femmes en situation de précarité. «J'aime l'humour anglais, grinçant, pas vulgaire, mais je ne suis pas du tout humoriste, dit-elle. J'ai des réflexes de journaliste, je vais super vite. Au début, je publiais jusqu'à 50 nouveaux posts par jour. J'ai reçu beaucoup de messages d'une grande gentillesse, ça m'a encouragée.» D'autres comptes comiques ont émergé pendant cette période troublée : les aphorismes de «SaraConnard» ou «Ennui magique». Preuve qu'on peut définitivement rire de tout.

Christian Drosten.

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La tête chercheuse allemande Christian Drosten

A 48 ans, le directeur du département de virologie de l'hôpital universitaire berlinois de la Charité est l'un des scientifiques les plus écoutés d'Allemagne. Non seulement «Mister Corona» a l'oreille d'Angela Merkel, mais il intervient plusieurs fois par semaine dans un podcast très suivi, où il aborde, en fin pédagogue, tous types de sujets liés au coronavirus. C'est d'ailleurs pour «l'excellence de sa communication dans le domaine scientifique» qu'il vient d'être distingué par la Fondation allemande pour la recherche. Né en Basse-Saxe en 1972, Drosten s'est distingué à 31 ans en codécouvrant le Sras en 2003. Cette année, son équipe a mis au point dès la mi-janvier le premier test de diagnostic simple du Covid-19, et l'a rendu accessible à tous en le postant en ligne. Surexposé mais discret, Drosten cultive des relations ambivalentes avec les médias, et se méfie de la vedettisation rampante des virologues. Il multiplie les appels à la prudence, redoute une deuxième vague d'infections, et met en garde contre un déconfinement trop précipité. Des propos qui lui ont valu des menaces de mort. Afin de se protéger, l'homme répète à longueur d'interviews que «la science n'a pas de mandat politique».

Olivier Véran et Jérôme Salomon.

Photo AFP

Le binôme du ministère de la Santé Olivier Véran et Jérôme Salomon

La crise sanitaire les a révélés aux Français. Inconnus du grand public il y a deux mois, le ministre de la santé, Olivier Véran, et le numéro 2 du ministère, le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, sont devenus les boussoles des citoyens confinés. Chacun dans son style. Au politique, les explications pédago et les conseils de compagnon d’infortune délivrés avec force vibrato de plateaux télé en matinales radio. Au haut fonctionnaire, les comptes rendus austères de la marche de l’épidémie et les recommandations de bon père de famille, déclinés chaque soir depuis fin février lors d’un point presse sur Internet et le petit écran. Ils ont pour eux la légitimité des sachants : Véran est neurologue, Salomon infectiologue et professeur des universités. Tous deux ont longtemps accompagné la gauche socialiste, comme député de l’Isère pour le premier, conseiller au cabinet de Bernard Kouchner et plus tard de Marisol Touraine pour le second, avant de rallier le candidat Macron, qui leur doit le volet santé de son programme. Les traits les plus saillants de leurs caractères, toutefois, les séparent : Véran, 40 ans, est aussi empathique et vibrionnant que Salomon, son aîné de onze ans, est réservé et posé. La nomination au débotté du premier à la tête du ministère, le 16 février, a pris le second à froid. Entre eux, la concurrence est feutrée mais perceptible. Ni le Président ni le Premier ministre n’en ont cure : pour le couple exécutif, cette paire est gagnante.

Samuel Peterschmitt.

Photo Pascal Bastien

Le pasteur à la genèse Samuel Peterschmitt

Le ciel, début mars, est littéralement tombé sur la tête de Samuel Peterschmitt. Son Eglise à Mulhouse - la Porte ouverte chrétienne (POC) - est l'un des grands foyers de contamination de l'épidémie de Covid-19 en France. A la suite d'un rassemblement de quelque 2 000 personnes, du 17 au 24 février dans le Haut-Rhin, le virus s'est répandu comme une traînée de poudre. Plus d'une vingtaine de fidèles en meurent ; Peterschmitt, lui, est hospitalisé pendant huit jours. Tout ou presque avait jusqu'alors réussi à ce quinquagénaire, marié et père de six enfants. En 1987, il avait succédé à son père, Jean, le fondateur de la POC, un ancien marchand de confiserie en gros. Sous son impulsion, l'Eglise prend son essor dans les années 90. Désormais, elle appartient au petit club des megachurches à la française, principalement installées en région parisienne. La POC a, elle, un fort ancrage régional et rayonne en Suisse, en Allemagne et en Belgique. Sous son allure décontractée, Peterschmitt est de fait un redoutable manager et un animateur hors pair. Il tient en haleine ses auditoires, qu'il séduit par son humour, tout en partageant la vision sociétale très conservatrice des milieux évangéliques.

Tedros Adhanom Ghebreyesus.

Photo AFP

Le premier docteur de la planète Tedros Adhanom Ghebreyesus

Avec sa moustache et ses lunettes à montures noires, Tedros Adhanom Ghebreyesus est devenu, à 55 ans, l’un des visages les plus familiers de la planète. Ses conférences de presse sont diffusées sur la plupart des télévisions du monde. A la tête de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis juillet 2017, l’Ethiopien est le premier Africain à diriger une telle institution. Il est aussi le premier directeur général à ne pas être médecin ; il a étudié l’immunologie à la London School of Hygiene and Tropical Medicine, avant de décrocher un doctorat en santé communautaire.

«Testez, testez, testez», a-t-il répété invariablement. Sur les nations puissantes, que sa fonction lui interdit de nommer, il a souvent tapé en les accusant de prendre la pandémie «à la légère». Ces dernières ne l'ont pas non plus épargné, à l'instar des Etats-Unis. Le président américain, Donald Trump, a menacé l'institution de Genève de cesser de lui apporter sa quote-part, estimant que le «docteur Tedros» et ses équipes avaient agi de façon «très biaisée en faveur de la Chine», en tardant à déclarer l'état d'urgence sanitaire mondiale dans le seul but d'éviter des déconvenues commerciales à Pékin.