A travers la vitre de leur Dacia Duster, Dominique et Antoine Torres présentent un à un les documents qui leur ont permis d'être, ce dimanche matin, au port de La Goulette, dans la banlieue de Tunis, à attendre le bateau pour Marseille. Une lettre manuscrite tamponnée de la police afin d'emprunter le pont reliant Djerba, où le couple breton possède une maison, au continent, car l'île du sud du pays, foyer d'épidémie, est étroitement surveillée. L'attestation de déplacement international dérogatoire pour avaler les 500 km de route entre Djerba et La Goulette sans se faire arrêter car les trajets entre gouvernorats (équivalent de régions) sont toujours interdits. Le questionnaire de l'agence régionale de santé certifiant qu'ils n'ont pas de fièvre, de diarrhées… Et, lorsqu'ils seront enfin en France, la déclaration qui leur permettra de circuler au-delà de 100 km pour se rendre de Marseille à Saint-Malo. «Normalement, c'est bon, on a tout», espère Dominique qui attend depuis février de pouvoir rentrer pour se faire opérer des ganglions possiblement cancéreux. Une grève de Corsica Linea puis la fermeture des frontières en ont décidé autrement.
A lire aussiBloqués en Algérie : «Ça commence à être long…»
Le Jean Nicoli est le premier navire que l'ambassade a réussi à mobiliser pour faire partir 465 résidents français et leurs 276 véhicules. Une goutte d'eau comparée aux quelque 17 000 rapatriements effectués par avion jusqu'ici, mais un vrai soulagement pour ces voyageurs qui, tous, saluent l'initiative. Venus visiter leur famille ou bien installés en Tunisie une partie de l'année, ils font régulièrement le trajet en voiture remplie à ras bord.
Dans la queue commencée depuis 7 h 30 pour un départ à midi, la Kangoo de Samir déborde de cageots de fruits : «J'étais venu voir ma mère quelques jours. Et là, ça va faire plus de deux mois que je n'ai pas vu ma femme et mes trois enfants. C'est long. J'espère me faire pardonner avec les pêches et melons», sourit le Grenoblois. Impossible pour lui – comme pour les autres passagers – de prendre un avion car la législation tunisienne lui interdit de repartir sans sa voiture immatriculée en France. Il attendait donc le bateau avec impatience «pour revoir ma famille, bien sûr. Mais il y a le travail aussi. Je suis dans le bâtiment. Mon patron comprend la situation. Mais quand même. Il ne m'aurait pas attendu six mois que les frontières rouvrent.»
Samir a de la chance, les places à bord du Jean Nicoli étaient chères. Au propre comme au figuré. Lui a dépensé 600 euros environ, soit deux fois plus qu'en temps normal. Pour respecter les mesures sanitaires durant les vingt-deux heures du trajet, la compagnie a divisé par trois le nombre de voyageurs.
A lire aussiPour la diaspora africaine, le virus fait blocus
5 000 résidents sont encore inscrits sur la liste de la cellule de crise pour un retour, dont 1 000 à 1 500 en situation d'urgence, selon l'ambassade de France. Malgré ses efforts de communication, les voyageurs sont critiques sur le manque d'information. «Le consulat a été nul. Impossible d'avoir un renseignement. C'est par les pages Facebook créées par les gens encore bloqués que j'ai su pour le bateau…», déplore Martine. Un stress supplémentaire pour elle et son mari. Ce trajet marque leur départ définitif de Tunisie. Vaisselles, tableaux, souvenirs, trente ans de vie tiennent dans leur fourgon Nissan. Bien que sur le point d'embarquer, la retraitée n'en a pas fini de s'inquiéter. Elle a téléchargé sa dérogation de circulation au-delà des 100 km sur son téléphone mais sans la remplir : «Si un flic nous arrête, je le mords», prévient-elle.