Une cinquantaine de hangars, des casernements, un poste de commandement et des pistes d'atterrissage en plein désert : la base aérienne d'Al-Watiya, 140 kilomètres à l'ouest de Tripoli, vient de changer de mains. Cette infrastructure militaire construite par les Américains pendant la Seconde Guerre mondiale et développée pendant le règne de Kadhafi était occupée par les forces du maréchal Khalifa Haftar (et ses alliés), qui assiègent la capitale depuis avril 2019. Les troupes loyalistes, qui défendent le gouvernement d'union nationale reconnu par les Nations unies, en ont pris le contrôle ce lundi matin. Apparemment sans combattre.
«Il est probable qu'avec la destruction du système de défense antiaérien Pantsir qu'elle venait d'installer, l'armée nationale arabe libyenne (ANL) de Khalifa Haftar a estimé que sa position était devenue intenable, explique Tarek Megerisi, du European Council on Foreign Relations. Elle a souffert de lourdes pertes causées par les attaques de drones turcs et avait des difficultés à maintenir les lignes d'approvisionnement.»
Une photographie prise par un combattant loyaliste qui a rapidement circulé sur les réseaux sociaux résume cette internationalisation du conflit : on y distingue, sous un toit de tôle, un camion doté de missiles antiaériens. «Pantsir construit par les Russes, fourni par les Emiratis et cassé par les Turcs», commentent les internautes libyens avec amertume.
Drones turcs
Depuis le début de l'année, le soutien accru d'Ankara au gouvernement d'union nationale a renversé la tendance militaire en Tripolitaine. «Les pays qui lui fournissent un soutien financier illimité et des armes ne suffiront pas à sauver Haftar», avait déclaré Recep Tayyip Erdogan le 5 mai. Ce jour-là, le président turc prédisait : «Nous aurons bientôt de bonnes nouvelles de la Libye.»
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«La prise d'Al-Watiya est la dernière d'une série de victoires commencée il y a plus d'un mois, avec la conquête de certaines villes clés, comme Sabratha et Sorman, rappelle Tarek Megerisi. Les Turcs vont certainement chercher à pousser leur avantage. Ils ont désormais l'opportunité de s'implanter durablement dans une base aérienne idéalement située. Une fois réparée et équipée, elle leur permettra de stopper les attaques de drones adverses et de déployer leurs propres drones Anka-S, plus puissants.»
La ville de Tarhouna, dernier bastion de Haftar dans l'ouest de la Libye, sera vraisemblablement la prochaine cible du gouvernement d'union nationale. Comme toujours en Libye, la compétition des parrains internationaux se télescope avec des rivalités tribales voire municipales. Tarhouna est perçu comme un ancien bastion kadhafiste. Les brigades engagées dans la défense de Tripoli, qui clament être les héritières et les gardiennes de la révolution du 17 février (2011), n'ont de cesse de dénoncer la collusion entre ces milices «réactionnaires» et le «nouveau dictateur» Khalifa Haftar.
Retrait honorable
La capture d’Al-Watiya n’est pas non plus étrangère à ces dynamiques locales. En 2014, la base avait été conquise par des hommes de la puissante ville de Zintan alliés au maréchal rebelle. Mais depuis l’an dernier, la cité est divisée. Une partie de ses enfants combat aux côtés de Haftar, tandis qu’une autre a rejoint le gouvernement d’union nationale.
On dit qu'ils s'arrangent pour ne jamais se retrouver face à face sur le front. L'opération de défense de Tripoli, baptisée «Volcan de la colère», a été confiée à un Zintani, le commandant Oussama al-Juwaili. Il négociait «depuis un mois» un retrait honorable des forces d'Al-Watiya, explique Tarek Megerisi. «Sans aller jusqu'à une reddition, les discussions ont créé un environnement favorable à l'abandon de la base», estime le chercheur.
Dans la capitale, les habitants redoutaient lundi une pluie de roquettes dans les quartiers situés près de la ligne de front, tirées par l’ANL en réaction à la perte d’Al-Watiya. Depuis début mai, au moins 17 civils ont été tués et plus de 66 blessés dans des bombardements aveugles. Jeudi, l’hôpital central de Tripoli a été touché à son tour. Selon les Nations unies, c’était la dix-septième fois, depuis le début de l’année, qu’un établissement sanitaire était frappé par des bombes dans la capitale libyenne.