«Nous sommes le théâtre.» Dans une atmosphère lourde, oscillant entre colère et tristesse, ils sont des centaines, souvent munis de pancartes, à converger vers le centre de Tirana. Une banderole jaune est déployée, on peut y lire : «Scène de crime». Derrière, l'importante présence des forces de police ne réussit pas à masquer les ruines du théâtre national. Les images de la destruction du monument par les autorités, dimanche à 4h30 du matin, ont choqué beaucoup d'Albanais. «Le théâtre était quelque chose qui nous rassemblait, déplore Xhemal, un jeune biologiste, au bord des larmes. C'était l'art ! Les comédiens ont sacrifié leur vie pour nous émanciper. Loin de reconnaître ce travail, les institutions le méprisent totalement.» Dans les gravats, on distingue des bouts de costumes ou des affiches des dernières représentations.
Témoins des premiers procès instaurés par la dictature stalinienne qu'a connue l'Albanie jusqu'en 1991, les planches du théâtre ont fait vibrer la vie culturelle pendant plus de soixante-dix ans. Faute d'investissements, l'édifice, inauguré en 1939 lors de l'occupation du pays par l'Italie de Mussolini, tombait lentement en décrépitude. Depuis près de deux ans et demi, l'Alliance pour la protection du théâtre tentait chaque soir de secouer les consciences pour éviter sa disparition. L'ONG Europa Nostra, pour la sauvegarde du patrimoine culturel du continent, l'avait récemment placé en tête de