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Crise

Tourisme : l’Espagne frappée sur un secteur essentiel

Déjà parmi les plus touchés par l’épidémie en Europe, le pays se prépare à l’effondrement d’un pilier de son économie.
Le parc Guell à Barcelone, le 13 mai. (Photo Josep Lago. AFP)
publié le 22 mai 2020 à 20h16

Membre du sélect club des cinq principales puissances touristiques du monde (avec la France, la Chine, les Etats-Unis et l'Italie), deuxième pays le plus visité l'an dernier avec 83,7 millions de visiteurs étrangers qui ont dépensé la bagatelle de 92 milliards d'euros, l'Espagne tremble : le secteur touristique est, chaque année davantage, sa poule aux œufs d'or, qui assure plus de 12 % de son PIB et 13 % de ses emplois directs. «Ce qui est notre moteur économique essentiel, analyse Santiago Carbó, de la fondation Funcas, est devenu notre condamnation pour longtemps.» Et de rappeler que l'activité touristique est précisément ce qui avait le plus permis à l'Espagne de se redresser après la crise de 2008, lorsque le pays était au bord de la banqueroute et qu'il avait reçu une colossale aide internationale pour sauver ses banques. Alors que la saison est d'ores et déjà considérée comme perdue par les opérateurs et les hôteliers, une récente décision du gouvernement de Pedro Sánchez a eu l'effet d'une douche froide supplémentaire : depuis le 15 mai, toute personne venue de l'étranger (y compris des résidents espagnols ou des ressortissants de l'espace Schengen) qui entre en Espagne doit immédiatement observer quatorze jours de quarantaine, et ses sorties autorisées doivent se limiter, avec le masque de rigueur, à se rendre à la pharmacie ou au supermarché le plus proche.

PME

La mesure a provoqué la colère d'Emmanuel Macron, qui s'est empressé de répondre à l'Espagne selon le principe de la réciprocité. Selon les professionnels du secteur, elle risque fort de dissuader de nombreux candidats. Notamment les Britanniques et les Allemands, dont les autorités respectives ne sont guère enclines à les laisser aller se dorer cet été sur les plages espagnoles, étant donné que le pays est un des plus touchés par le virus. «De notre côté, a insisté le ministre espagnol de la Santé, Salvador Illa, nous seront très précautionneux. Nous n'avons aucunement l'intention de voir les efforts de deux mois réduits à néant par des infections venues d'ailleurs.»

Parmi les nations touristiques, l'Espagne souffre particulièrement, étant donné que son modèle économique s'arrime sur le tourisme de masse. Mais pas seulement. «Le châtiment en Espagne va être tout spécialement brutal, de par sa vulnérabilité spécifique», a assuré à la mi-mai Poul Thomsen, responsable de l'Europe pour le Fonds monétaire international. Selon ce dernier, le facteur aggravant tient au fait que le secteur est essentiellement composé de petites et moyennes entreprises. «Or les petites entités sont dépourvues des moyens financiers pour supporter des chocs significatifs.» Selon Exceltur, lobby regroupant en Espagne les principaux acteurs touristiques, on compte 231 653 PME, contre seulement 659 entreprises comptant plus de 200 salariés.

Passé le cauchemar de la semaine de Pâques, où les pertes ont été évaluées à 18 milliards d’euros, les prédictions sont très mauvaises pour les semaines et mois à venir. Les entrepreneurs du secteur prévoient pour cette année des pertes cumulées de l’ordre de 125 milliards d’euros et une chute de l’activité de plus de 80 %. Les plus touchés : la Catalogne, l’Andalousie, Madrid. Ainsi que les Canaries, où les îles du Hierro et la Gomera, pleinement déconfinées et où le tourisme assure un quart des emplois, attendent en vain des visiteurs.

«Plan de choc»

La situation est également dramatique aux Baléares, où les pertes pourraient représenter 95 % de l'activité en 2019. «C'est une situation inédite, exceptionnelle, se désole Javier Vich, président des hôteliers de Palma de Majorque. Toute l'activité est à l'arrêt, alors que nous en vivons. Cela génère une énorme incertitude. Au mieux, on peut espérer une relative récupération en 2021, et une normalisation en 2022.» José Luis Zoreda, vice-président d'Exceltur - fédération des grandes entreprises du secteur touristique espagnol - a réclamé au gouvernement un «plan choc» et précisé que, même si les Espagnols optaient massivement cet été pour un tourisme national, «cela permettrait à peine de compenser le désastre».