«On a préféré donner une perspective de moyen terme parce qu'à court terme ce n'est pas bon, pas bon du tout» : c'est ainsi qu'un haut dirigeant de Nissan résume en aparté pour Libération la situation du groupe nippon, plongé dans une crise bien antérieure à celle du coronavirus. Il y aura des coupes sombres, mais le patron Makoto Uchida l'assure en public, «ce n'est pas une restructuration». Au vu du plan présenté, pourtant, cela y ressemble fort…
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La débâcle remonte à fin 2018, au moment de l’arrestation de celui qui en était alors le président et gourou, Carlos Ghosn. Depuis, tout est allé de mal en pis. Il a fallu un an de révélations, de querelles internes, l’éviction des proches de Ghosn pour qu’une direction se mette en place et rassure le partenaire Renault dont il était aussi le PDG. La perte nette de près de 6 milliards d’euros annoncée jeudi par Nissan pour l’exercice comptable achevé en mars n’a rien à voir avec la pandémie de Covid-19. Cette contre-performance est tout entière liée à la traversée du désert post-Ghosn, qui est encore loin d’être terminée. Il s’agit en majeure partie de coûts de restructuration et de dépréciations d’actifs censées remettre la machine Nissan en ordre de marche.
Nouvelle saignée
«Ce sera mauvais cette année aussi», prévient notre source. Nissan, qui n'a pas donné de prévisions de résultats pour l'année en cours, va tailler dans les effectifs. Lors d'une conférence de presse ce jeudi à Tokyo, Makoto Uchida, présenté comme l'homme de la situation, a ostensiblement refusé d'avancer un nombre. Plus de 12 000 suppressions d'emplois étaient déjà prévues depuis des mois. Le montant des économies à réaliser en sus laisse présager une nouvelle saignée de plusieurs milliers de postes, essentiellement hors du Japon. «C'est le coût d'une révolution pour l'avenir», affirme le patron, tout en insistant sur le partage renforcé des rôles au sein de l'alliance avec Renault et Mitsubishi Motors. Les trois se partageront les marchés géographiques, en plus des sites de production et technologies. Pour Nissan, ce sera le Japon, la Chine et l'Amérique du Nord.
Pour l'actuelle direction, les choix décidés sont inévitables, car Carlos Ghosn, en fin de règne, avait faux sur toute la ligne. L'édifice ne tenait qu'à son approche dictatoriale et sa folie des grandeurs. Il part et tout s'effondre car tout était intenable sur la durée : telle est la thèse défendue. Dans son refuge au Liban, Ghosn sera sans doute d'accord avec l'idée que son départ et la bérézina coïncident peu ou prou, mais il a déjà insisté, lors de son unique conférence de presse depuis sa fuite à Beyrouth, que la déroute date en fait de plus tôt, quand il a cédé les commandes opérationnelles de Nissan en 2017 à celui qui devint son fossoyeur, Hiroto Saikawa, tombé depuis. La stratégie Ghosn, elle, était la bonne, il en reste convaincu. Sauf qu'elle va être mise en pièces. «On ne parle plus désormais de volume mais de rentabilité, d'efficacité», a insisté jeudi Uchida, reprenant un refrain déjà entonné mercredi par le président de l'alliance Renault-Nissan et patron de Renault, Jean-Dominique Senard. «Nous préférons une croissance régulière plutôt qu'une course effrénée aux volumes», a renchéri Uchida.
Capacités de production réduites
Des usines Nissan en feront les frais: celles de Barcelone et d’Indonésie seront fermées. Le gouvernent espagnol n’a pas tardé à réagir, dénonçant le choix d’une entreprise qui préfère endurer des pertes comptables colossales et laisser sur le carreau les 3 000 employés du site barcelonais au lieu d’utiliser les nombreuses aides proposées pour le sauver.
Au final, les capacités de production de Nissan devraient être réduites de 20%, sous la barre des 6 millions de véhicules par an. Le discours des dirigeants de Nissan tranche avec celui prononcé il y a quelques jours par le patron de Toyota, Akio Toyoda, lequel déplore que «dans le monde actuel, le sacrifice de salariés et moyens de production soit non pas critiqué mais au contraire loué» au profit du redressement financier. Sans aucune restructuration, Toyota restera dans le vert et le géant japonais de l'automobile n'en est pas peu fier.