Victime des tirs croisés des Etats-Unis et de la Chine, Hongkong et son statut spécifique sont en train de vaciller. L'objectif de Pékin et sa future loi sur la sécurité nationale, dont le principe a été voté jeudi, est de restreindre les libertés politiques à Hongkong et les ingérences étrangères, tout en convainquant les investisseurs internationaux que le port franc reste une place financière viable. Washington assène au contraire que le territoire «a perdu son autonomie», et menace d'amender, voire de révoquer le statut spécial qu'il lui octroie depuis 1992. Un tel coup serait lourd de conséquences pour les deux ennemis du moment, tant l'ex-colonie britannique reste un canal important de leurs économies respectives.
Depuis la fin des années 70 et le virage d’ouverture et de réformes pris par la Chine, la cité portuaire s’est imposée comme un centre de réexportation important et une fenêtre par laquelle explorer le juteux marché chinois en pleine expansion. Tel est toujours le cas. Selon des données du département d’Etat, plus de 1 300 entreprises américaines, dont environ 300 sièges régionaux, sont aujourd’hui basées dans l’archipel semi-autonome, utilisé comme rampe de lancement pour se développer dans la région et en particulier en Chine continentale. Environ 85 000 citoyens américains y résident aussi. En 2018, Hongkong représentait le troisième marché pour les exportations de vins américains, le quatrième pour le bœuf et le septième pour les produits agricoles.
«Barbare»
Ce succès, le petit territoire le doit à son économie libre, son Etat de droit fort, l’indépendance de sa justice et aux libertés héritées de l’époque coloniale, garanties par le principe «un pays, deux systèmes», scellé avant la rétrocession de 1997. Ces libertés confèrent à Hongkong un statut spécial qui lui permet de négocier des accords commerciaux et financiers avec d’autres juridictions, indépendamment de Pékin. C’est le cas avec les Etats-Unis, qui ne lui appliquent pas les mêmes tarifs douaniers que ceux imposés aux produits de Chine continentale.
Or «aucune personne sensée ne peut soutenir aujourd'hui que Hongkong conserve un haut degré d'autonomie par rapport à la Chine», a déclaré mardi soir Mike Pompeo. Selon le chef de la diplomatie américaine, «Hongkong ne continue pas à mériter le même traitement». Le statut commercial préférentiel n'a pas encore été révoqué, mais la menace plane. C'est la décision «la plus barbare, la plus déraisonnable et la plus éhontée», a riposté jeudi le ministère des Affaires étrangères dans la région administrative spéciale.
Si les Etats-Unis franchissent le pas, «l'impact direct sur l'économie de Hongkong ne serait pas si catastrophique car, après tout, les exportations de Hongkong vers les Etats-Unis représentent moins d'un dixième de ses exportations totales», souligne Tianlei Huang, analyste au Peterson Institute for International Economics. De plus, pour de nombreuses entreprises chinoises réexportant via Hongkong, la décision des Etats-Unis ne changera rien puisque ces marchandises sont de toute façon traitées comme chinoises pour des raisons tarifaires.
Haute technologie
Mais c'est à la population et aux multinationales qu'une éventuelle révocation du statut commercial spécial nuira le plus. Les contrôles à l'exportation peuvent aussi porter un coup aux entreprises de haute technologie à Hongkong, estime Tianlei Huang. Toutefois, l'impact de la manœuvre américaine sur l'économie chinoise dans son ensemble «sera probablement très faible». En 2019, 12 % des exportations chinoises se faisaient à destination de Hongkong ou ont transité par cette région. La proportion était de 45 % en 1992.
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Ce qui en revanche peut être inquiétant sont les conséquences à plus long terme sur le statut du port franc en tant que centre d'affaires international. «La confiance est une chose fragile», note Tianlei Huang, et «les entreprises étrangères utilisant Hongkong comme siège régional, confrontées à de plus grandes restrictions (par exemple sur les visas de travail pour leurs employés), reconsidéreront probablement leur présence dans la ville». Certaines déménageront ailleurs, par exemple à Singapour, provoquant en outre une fuite de capitaux, ce qui compliquerait le maintien de l'arrimage du dollar hongkongais au dollar américain. Et «cela pourrait nuire aux centaines d'entreprises de Chine continentale cotées à la Bourse de Hongkong et qui cherchent à accéder aux capitaux internationaux». L'essentiel des investissements étrangers directs continuent de transiter par le canal hongkongais et la plupart des grosses firmes chinoises, qu'elles soient publiques, comme Bank of China, ou privées, comme Tencent, sont cotées à Hongkong, qui sert de tremplin vers une expansion mondiale.
La balle est dans le camp américain. Sanctions, nouveaux droits de douane, restrictions au commerce ou fin de l’accord d’extradition, la contre-attaque promise par Donald Trump pourrait être graduelle.