Sa biographe l'a surnommé «le Prince du chaos». Donald Trump aime quand ça bataille, quand ça brûle. Le voilà plus que jamais aux premières loges. Le vent de colère soulevé par la mort de George Floyd à Minneapolis s'est en effet rapidement propagé à tout le pays, jusque sous les fenêtres de la Maison Blanche. Pour la quatrième soirée consécutive, des échauffourées ont éclaté lundi aux abords de la résidence présidentielle, en plein cœur d'une capitale fédérale sous couvre-feu. Manifestations et violences se sont poursuivies dans plusieurs villes du pays, notamment à New York, où plusieurs magasins ont été pillés le long de la célèbre Cinquième Avenue. Le maire démocrate de la ville, Bill de Blasio, a décidé d'élargir le couvre-feu imposé lundi. Il débutera ce mardi soir à 20 heures au lieu de 23 heures.
Confronté aux pires troubles civils de son mandat, Donald Trump s'est exprimé lundi depuis la Maison Blanche. Sur un ton martial, il a promis de restaurer l'ordre et menacé de déployer l'armée pour faire cesser les violences. «Des milliers de soldats lourdement armés» vont être déployés à Washington, a-t-il précisé, se dépeignant à la fois en «allié de tous les manifestants pacifiques» et en «président de la loi et de l'ordre».
Qualifiant les «émeutes» et les «pillages» d'actes de «terrorisme intérieur», dont il attribue la responsabilité aux anarchistes, gauchistes et au mouvement «antifa», le président américain a exhorté les gouverneurs à agir vite et fort pour «dominer les rues». Et brandi la menace d'une intervention : «Si une ville ou un Etat refuse de prendre les décisions nécessaires pour défendre la vie et les biens de ses résidents, je déploierai l'armée américaine pour régler rapidement le problème à leur place», a-t-il lancé. Pour l'heure, 23 Etats ont activé la Garde nationale – une force militaire de réserve – pour tenter de rétablir l'ordre, mais aucun gouverneur n'a réclamé l'intervention de l'armée active. Donald Trump pourrait recourir à une loi de 1807, l'Insurrection Act, pour déployer l'armée sans le consentement des gouverneurs.
«Indignée»
Au moment même où Donald Trump s’exprimait depuis la roseraie de la Maison Blanche, la police délogeait avec du gaz lacrymogène, des balles en caoutchouc et des grenades assourdissantes, des centaines de manifestants pacifiques rassemblés à l’extérieur de l’enceinte. Cette évacuation violente n’avait qu’un seul objectif : permettre au Président de traverser à pied Lafayette Square pour se rendre, entouré de proches et de membres de son cabinet, devant l’église Saint John, église emblématique des présidents américains, où un début d’incendie a eu lieu dimanche soir.
Sur place, Donald Trump s'y est fait photographier, une bible à la main. Si cette séance photo de quelques minutes plaira sans aucun doute à sa base électorale, et à la droite évangélique en particulier, elle a suscité une avalanche de critiques. «Ils ont utilisé l'armée américaine pour repousser une manifestation pacifique […] simplement pour qu'il puisse faire une séance photo et marcher jusqu'à l'église», s'est indigné le gouverneur de New York, Andrew Cuomo, jugeant «honteuse» l'attitude du milliardaire.
L'évêque du diocèse épiscopal de Washington, dont fait partie l'église Saint John, s'est dite «indignée» par cette visite, reprochant sur CNN à Donald Trump d'avoir brandi une bible, «le texte le plus sacré de la tradition judéo-chrétienne», pour délivrer un message «aux antipodes de tout ce que notre église représente». «Il n'a pas prié. Il n'a pas mentionné George Floyd, il n'a pas mentionné l'agonie du peuple qui est soumis depuis des siècles à l'expression atroce du racisme et du suprémacisme blanc. Nous avons besoin d'un président capable d'unifier et de panser les plaies. Il a fait l'opposé de cela, et nous nous retrouvons à ramasser les morceaux», a ajouté Mariann Edgar Budde dans une interview au New York Times.
A cinq mois d'un scrutin présidentiel qui l'obsède depuis le premier jour et qui, dans sa psyché de milliardaire allergique à la défaite, ne peut avoir d'autre issue qu'une réélection, Donald Trump ne semble donc clairement pas disposé à jouer l'apaisement. Le pourrait-il seulement ? Rien dans sa personnalité ni son parcours de promoteur immobilier, star de téléréalité puis homme politique, n'indique qu'il en soit capable. Jamais un président américain – homme d'affaires blanc new-yorkais qui a entamé sa carrière politique en 2011 en mettant en doute la nationalité de Barack Obama, a renvoyé dos à dos suprémacistes blancs et militants antiracistes à Charlottesville, puis exhorté quatre jeunes élues démocrates à «retourner» d'où elles venaient – n'a semblé aussi peu préparé, et surtout légitime, pour apaiser un mouvement de protestation à forte dimension raciale.
Duel
Rassembleur, Trump ne l'a jamais été. Le conflit et le chaos – y compris au sein de sa propre administration, marquée par un turnover inédit – constituent à la fois sa zone de confort, son terrain d'expression favori et un outil crucial pour mobiliser sa base. «3 NOVEMBRE [la date de l'élection, ndlr]», a-t-il d'ailleurs tweeté lundi en majuscules, pendant que la porte-parole de sa campagne résumait le scrutin à un choix «binaire» entre «sécurité» et «anarchie». Désireux à l'inverse d'incarner la réconciliation d'une Amérique polarisée, Joe Biden joue une partition délicate. Très populaire au sein de la communauté noire, l'ancien vice-président doit relayer sa colère légitime sans donner le sentiment de cautionner les violences. «Nous sommes une nation qui souffre en ce moment, mais nous ne devons pas laisser cette souffrance nous détruire», a déclaré dimanche le futur adversaire de Trump. Il doit prononcer mardi un discours à Philadelphie.
En attendant le duel entre les deux hommes, mère de toutes les batailles électorales, les élus locaux vont tenter de répondre dans les jours, semaines et mois à venir, à la colère qui gronde et à la crise socioéconomique désastreuse qui couve. Certains aimeraient que Donald Trump reste dans son bunker. Aussi silencieux que possible. «Le président Trump aggrave les choses, a ainsi déclaré la maire démocrate d'Atlanta. Il devrait juste se taire.»