Tout un symbole, c'est à Philadelphie, berceau de l'indépendance des Etats-Unis, que Joe Biden a choisi mardi de prononcer un discours sur la vague de colère, parfois violente, qui secoue le pays depuis la mort de George Floyd le 25 mai. «"Je ne peux pas respirer. Je ne peux pas respirer." Les derniers mots de George Floyd. Mais ils ne sont pas morts avec lui. Ils sont encore entendus. Ils résonnent à travers cette nation», a débuté l'ancien vice-président, costume bleu nuit et cravate rouge, debout devant quatre immenses drapeaux étoilés. Volontairement solennel, ce discours visait un double objectif : dresser un contraste cinglant avec Donald Trump et marquer le retour médiatique du candidat démocrate à la Maison Blanche, qui a peiné à exister ces dernières semaines, confiné dans sa maison du Delaware (non loin de Philadelphie) par l'épidémie de coronavirus.
«Bataille». Le virus circule encore, et à 77 ans, Joe Biden se sait à risque, mais à cinq mois de la présidentielle et alors que le pays connaît ses pires troubles civils depuis des décennies, il ne peut plus se permettre d'attendre. Dimanche déjà, il avait quitté son domicile pour se rendre sur les lieux d'une manifestation. Puis rencontré le lendemain, masque sur le visage, des responsables politiques et religieux noirs dans une petite église de sa ville de Wilmington, leur promettant, en cas de victoire en novembre, de s'attaquer au «racisme institutionnel» dès les 100 premiers jours de sa présidence. Désireux d'afficher son leadership, l'ancien bras droit de Barack Obama avait aussi organisé une table ronde virtuelle avec les maires de grandes villes secouées par les violences, comme Los Angeles, Atlanta ou Chicago.
Cette élection est «une bataille pour l'âme de notre nation», martèle depuis des mois Joe Biden, accusant son rival républicain de la «détruire». Il l'a répété mardi, dans un discours construit comme une antithèse de celui, martial et clivant, prononcé la veille par Donald Trump. Se présentant comme le «président de la loi et de l'ordre», et qualifiant les «émeutes» et «pillages» d'actes de «terrorisme intérieur», l'ancien magnat de l'immobilier avait exhorté les gouverneurs à agir vite et fort pour «dominer les rues». Menaçant, s'ils échouaient à ramener le calme, de déployer «l'armée pour régler rapidement le problème à leur place».
Au moment même où Donald Trump s'exprimait depuis la roseraie de la Maison Blanche, la police délogeait brutalement des centaines de manifestants pacifiques rassemblés à l'extérieur. Avec un seul objectif : permettre au Président de se rendre à pied devant l'église Saint-John, touchée dimanche soir par un début d'incendie, et devant laquelle Trump s'est fait photographier Bible à la main. Si cette séance photo de quelques minutes a plu à sa base électorale évangélique, elle a surtout suscité une avalanche de critiques outrées. «Quand des manifestants pacifiques sont évacués sur ordre du Président du perron de la maison du peuple, la Maison Blanche, en utilisant des gaz lacrymogènes et des grenades assourdissantes, pour organiser une opération de communication devant une vénérable église, nous sommes en droit de penser que le Président est plus préoccupé par le pouvoir que par les principes. Qu'il est plus intéressé par servir les passions de sa base que les besoins de ceux dont il est censé s'occuper», a tonné Biden.
Pour le candidat démocrate, dont la campagne moribonde du début des primaires a été ressuscitée au printemps par le soutien massif de l'électorat noir, la contestation actuelle représente une chance de se dépeindre en leader empathique et rassembleur, capable de réconcilier un pays polarisé à l'extrême par Trump. «La présidence est une lourde tâche. Personne ne réussira tout. Moi non plus. Mais je vous promets ceci. Je ne manipulerai pas la peur et la division. Je n'attiserai pas les braises de la haine. Je chercherai à panser les blessures raciales qui gangrènent ce pays depuis longtemps, et non pas à les utiliser pour des avantages politiques», a déclaré Biden mardi.
Jeunesse. Déterminé à reprendre pied dans la campagne, l'ancien vice-président a annoncé pour les semaines à venir «des discours nationaux très sérieux» sur les défis du pays et des propositions économiques, notamment en matière de logement et d'éducation. S'il pourra compter dans les urnes sur un rejet viscéral de Trump par une partie des Américains, Joe Biden sait toutefois qu'il ne l'emportera qu'à condition de mobiliser toutes les composantes de la très diverse «coalition démocrate».
Son principal défi : convaincre la jeunesse noire, blanche et hispanique. De plus en plus marquée à gauche, elle soutenait massivement son rival Bernie Sanders et se retrouve aujourd’hui très impliquée dans les manifestations. Davantage désireuse de renverser la table que du retour à la «normale» promis par Biden, cette jeunesse reproche à l’ancien sénateur du Delaware certaines de ses positions passées, à commencer par la «Crime Bill» de 1994, réforme pénale répressive et en partie responsable de l’incarcération massive des Noirs américains. Près de trois décennies plus tard, la communauté noire continue d’en payer le prix. Un argument que Donald Trump ne manquera pas d’utiliser contre son adversaire.