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Disparition

Madeleine McCann : un suspect sérieux au cœur du mystère

La police allemande a confirmé jeudi détenir un pédocriminel récidiviste qu’elle soupçonne du meurtre de la fillette britannique, disparue au Portugal le 3 mai 2007. Son nom était déjà apparu à deux reprises dans l’enquête.
Une photo de Madeleine McCann projetée lors d’un match de foot, le 16 mai 2007 au Hampden Park Stadium de Glasgow. (Photo Eddie Keogh. Reuters)
publié le 4 juin 2020 à 19h51

Son visage a fait le tour du monde. Une bouille au petit menton pointu, coiffée d’un carré blond. Un demi-sourire qui laisse entrevoir des dents de lait et de grands yeux, deux billes rondes et vertes et une pupille noire qui déborde, un signe de reconnaissance imparable. En treize ans et un mois, Kate et Gerry McCann ont scruté les regards de milliers de fillettes, puis d’adolescentes, dans l’espoir de reconnaître leur fille Madeleine évaporée de la chambre d’hôtel d’un complexe de vacances à Praia da Luz (Portugal), le 3 mai 2007. Ils n’ont jamais voulu croire au pire. En l’absence de corps ou du moindre indice, ils espéraient qu’elle avait été enlevée et que, peut-être, elle grandissait quelque part. Elle aurait 17 ans aujourd’hui. Pour la première fois, ils n’excluent plus un dénouement tragique à ce mystère insupportable.

L'enquête sur la disparition de la petite Britannique, neuf jours avant son quatrième anniversaire, pourrait arriver à son terme. «Nous pouvons désormais supposer que la petite fille est morte.» Les propos tenus jeudi par Hans-Christian Wolters, porte-parole du parquet de Brunswick (Basse-Saxe), ne laissent plus beaucoup de place au doute. Ils viennent confirmer ce que disait mercredi soir la police allemande, lorsqu'elle a annoncé enquêter sur un homme de 43 ans, soupçonné du meurtre de la petite fille.

Cambriolages et trafic de drogue

Le suspect, un Allemand qui résidait en Basse-Saxe - d'où l'implication du parquet de Brunswick - avant son départ à l'étranger, se nomme «Christian B.», rapporte le Spiegel. Pédocriminel multirécidiviste, il a déjà été condamné pour des violences sexuelles sur des enfants, a précisé Hans-Christian Wolters. Il est actuellement détenu à Kiel, dans le nord de l'Allemagne, pour une affaire de trafic de stupéfiants. Fin 2019, il aurait également été condamné à sept ans de prison pour le viol d'une Américaine de 72 ans, en 2005 à Praia da Luz, où Madeleine McCann a disparu dix-huit mois plus tard. Ces informations n'ont toutefois pas été confirmées par le ministère public.

Dans l'affaire Madeleine McCann, le nom de Christian B. a surgi il y a sept ans. En octobre 2013, après la diffusion de l'émission d'appel à témoins Aktenzeichen XY… ungelöst, à laquelle avaient participé les parents de la petite fille, tous deux médecins. Les enquêteurs avaient reçu des tuyaux à son sujet. Son nom est réapparu en 2017. Cependant, «les informations d'alors n'étaient pas suffisantes pour lancer une enquête, encore moins pour procéder à une arrestation», a précisé mercredi soir Christian Hoppe, de l'Office de police fédérale (BKA). Mais désormais, «les informations que nous avons pu recueillir au cours de notre enquête nous renforcent de plus en plus dans la conviction que le suspect pourrait être le coupable», a-t-il dit.

Selon la police allemande, Christian B. a vécu régulièrement dans l’Algarve, dans le sud du Portugal, entre 1995 et 2007, et exercé plusieurs petits boulots autour de la ville de Lagos, notamment dans la restauration. Il commettait également des cambriolages dans des complexes hôteliers et des appartements de vacances. Le parquet évoque en sus une implication dans des affaires de trafic de drogue.

La police allemande a précisé que les données de son téléphone portable indiquaient sans aucun doute que le suspect se trouvait à proximité du complexe hôtelier à Praia da Luz, dans la soirée du 3 mai 2007. La disparition de la fillette est-elle liée à un cambriolage qui aurait dégénéré en enlèvement ?

«Besoin de savoir pour retrouver la paix»

Si les enquêteurs allemands sont convaincus de la mort de la petite fille, aucun élément sur la découverte d'un corps n'a été évoqué. «Pour commencer, la question la plus pressante : avez-vous trouvé Madeleine ?» demandait mercredi le présentateur de Aktenzeichen XY… ungelöst à Christian Hoppe. «A cette question, je dois hélas répondre, de manière très claire, non», a répondu l'enquêteur du BKA. Un appel à témoins en allemand, anglais et portugais a été diffusé mercredi soir sur la chaîne ZDF. Y sont notamment dévoilées les photos de deux véhicules utilisés par le suspect à l'époque des faits, une Jaguar couleur aubergine et un van Volkswagen Transporter T3. Cette Jaguar a été enregistrée en Bavière, et sous un autre nom, le 4 mai 2007, soit le lendemain de la disparition.

Les enquêteurs diffusent également la photo d’une maison dans laquelle le suspect a séjourné à l’époque, ainsi que deux numéros de téléphone portable portugais. Le soir de la disparition de la fillette, entre 19 h 32 et 20 h 02, le suspect a reçu un appel de l’un de ces numéros. L’appel à témoins, lancé simultanément par la police allemande, portugaise et britannique, promet une récompense de 22 280 euros pour toute information cruciale.

Sans corps et sans preuve définitive, la police britannique continue de parler d'une enquête «sur une personne disparue». Mais pour les parents de Madeleine, ce dernier développement dans une enquête qui a connu de multiples rebondissements est «potentiellement très significatif». «Nous n'abandonnerons jamais l'espoir de retrouver Madeleine vivante mais, quel que soit le dénouement, nous avons besoin de savoir pour retrouver la paix», a déclaré le couple dans un communiqué. Parmi les «milliers de pistes et de suspects potentiels mentionnés par le passé, il n'y a jamais eu de référence aussi claire, aussi spécifique sur un individu, présentée non pas par une, mais trois forces de police», britannique, allemande et portugaise, a déclaré jeudi Clarence Mitchell, porte-parole de la famille McCann.

Lit vide et fenêtre entrouverte

C’était le 3 mai 2007. La soirée était douce dans ce complexe hôtelier de pierre blanche, à Praia da Luz, station balnéaire en plein Algarve, à 300 kilomètres au sud de Lisbonne. Les McCann étaient en vacances avec leur fille aînée, Madeleine, et leurs jumeaux de 2 ans, Sean et Amelie. Ils étaient accompagnés d’un groupe d’amis qui avaient eux aussi des enfants en bas âge. Ce soir-là, vers 20 h 30, le couple avait laissé ses trois enfants endormis dans la même chambre, située en rez-de-chaussée, et avait rejoint ses amis pour dîner dans un bar à tapas situé dans le même complexe, à 50 mètres de là. Gerry et Kate s’étaient ensuite relayés toutes les demi-heures pour aller vérifier comment allaient les enfants. A 22 heures, Kate McCann avait découvert le lit de Madeleine vide, les volets de la fenêtre donnant sur la rue entrouverts. Les jumeaux dormaient toujours.

Des recherches intenses avaient immédiatement démarré, sans succès. En septembre 2007, la police portugaise plaçait Gerry et Kate McCann sous le statut d'«arguidos», suspects formels, dans le cadre de la disparition de leur fille, puis, juste après, faisait de même pour un Britannique non connecté avec les McCann, mais vivant à Praia da Luz. En juin 2008, après de nombreuses critiques sur la manière dont les investigations initiales avaient été menées, les McCann et l'autre suspect étaient blanchis et l'enquête, côté portugais, close.

Portrait-robot d’un homme blond

Gerry et Kate McCann n'ont jamais baissé les bras, jamais abandonné leurs recherches, leurs appels au public pour le moindre indice, la moindre piste. Leur petite fille est devenue «Maddie» pour les tabloïds et le monde entier. Pour eux, elle est toujours restée «Madeleine». La police britannique n'a jamais abandonné non plus, poussée par le Premier ministre de l'époque, David Cameron qui, en mai 2011, avait demandé à Scotland Yard de reprendre au début les investigations, dégageant des fonds pour financer les recherches.

L’équipe d’enquêteurs, rassemblés au sein d’une cellule dédiée, a été baptisée «Operation Grange». En juillet 2013, Scotland Yard indiquait avoir identifié de nouvelles pistes. Trois mois plus tard, la police portugaise relançait aussi l’enquête. Au fil des années, des suspects ont été identifiés, avant d’être innocentés. La piste d’un crime ou celle d’un trafic pédophile a souvent été évoquée, celle d’un cambriolage qui aurait mal tourné aussi. Une série documentaire Netflix en huit épisodes, descendue par la critique, est sortie en 2019. Gerry et Kate McCann, mais aussi leurs amis en vacances avec eux à l’époque, avaient refusé catégoriquement d’y participer, par crainte de gêner l’enquête.

En avril 2017, la police britannique écartait définitivement la piste des quatre suspects officiellement identifiés au fil des années. Mais les policiers indiquaient alors poursuivre «une ligne d'enquête significative». S'agissait-il déjà du suspect actuel, qui avait été repéré au milieu de 600 autres noms d'individus relevés ? Au début de l'enquête, un portrait-robot d'un suspect aperçu errant dans la rue, à proximité de l'appartement où dormait Madeleine, avait été publié. Il évoquait un homme blond, d'environ 1,80 mètre, la trentaine et plutôt mince.

L'inspecteur en chef Mark Cranwell, membre de l'Operation Grange de Scotland Yard, a décrit sur la BBC le suspect emprisonné en Allemagne : «Il est de nationalité allemande, mesure environ 1,80 mètre. Il a aujourd'hui 43 ans, il en avait 30 à l'époque.» Certains ont pu, «dans le passé, avoir peur de parler à la police», a-t-il ajouté. Mais «le message est qu'il est désormais en prison, et qu'en fait, aujourd'hui est le bon moment de parler».