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Libération

La presse française a-t-elle tort de parler d’«Afro-Américains» ?

publié le 5 juin 2020 à 19h41

Qualifier George Floyd d'«Afro-Américain» revient-il à le ranger dans une «sous-catégorie» d'Américains ? La question a été posée à Libé, où nous utilisons cette expression, mais aussi à Radio France, où la médiatrice a reçu nombre de courriers s'indignant de son utilisation par les journalistes de la station.

D'où vient ce terme, qui désigne l'essentiel de la population noire américaine ayant eu des ancêtres esclaves ? Il a été popularisé par Malcolm X, en 1964, quelques mois avant son assassinat. «On peut difficilement le soupçonner d'avoir ainsi créé une sous-catégorie de personnes noires», souligne Cécile Coquet, maîtresse de conférences en civilisation américaine à l'université de Tours. «Malcolm X avait une vision très internationale des choses. Il a beaucoup voyagé en Afrique, en 1964. En parlant d'Afro-Américains, c'était une manière pour lui d'inscrire les Noirs américains dans un ensemble international, alors que "Negroes" renvoyait les Noirs à une histoire américaine», ajoute Pap Ndiaye, professeur d'histoire à Sciences-Po.

C’est à la fin des années 90 que l’expression évolue et devient «Africain-Américain», par l’intermédiaire de Jesse Jackson, autre militant pour les droits civiques. Un trait d’union sépare d’abord les deux origines, puis est supprimé, pour mettre à égalité, au moins d’un point de vue linguistique, «Africain» et «Américain». Cette formule est encore privilégiée aujourd’hui dans les formulaires de recensement que remplissent les Américains, dans les travaux universitaires.

Quelles différences existe-t-il entre les deux expressions ? «L'utilisation du terme "Afro" marquait un peu trop l'idée d'une hybridation, une certaine forme de "créolisation". La diminution du terme "Africain" en "Afro" mettait aussi en doute le fait que ces gens-là étaient vraiment africains», répond Cécile Coquet.

Pap Ndiaye émet une autre explication pour justifier cette transformation : «Ça pouvait aussi renvoyer à des styles de coiffures afro. De plus, l'utilisation d'un diminutif pour parler des Africains posait problème. En réalité, c'était une manière d'expliciter la référence à l'Afrique, et de lever toute ambiguïté sur ce que cela pouvait signifier.»

Pour autant, l'utilisation, en 2020, de l'expression «Afro-Américain» peut-elle être vue comme problématique ? «Ce n'est pas insultant, c'est juste daté du point de vue des universitaires américains et français qui travaillent sur cette question. Il n'y a aucune charge dans l'expression "Afro-Américain"», estime Cécile Coquet.

«En France, on parle très volontiers d'Afro-Américains. Mais de mon point de vue, ce n'est en rien un vocabulaire de dérision, de moquerie, ou quelque chose d'insultant. A la base, cette expression a une connotation très positive : ce terme a été développé pour souligner un héritage historique, culturel. Il a ensuite légèrement évolué», répond pour sa part Pap Ndiaye.