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CheckNews Après Floyd vos questions nos réponses

publié le 5 juin 2020 à 19h41

Depuis plus de deux ans, Libération met à disposition de ses lecteurs un site, CheckNews, où les internautes sont invités à poser leurs questions à une équipe de journalistes. Notre promesse : «Vous demandez, nous vérifions.» A ce jour, notre CheckNews.fr équipe a déjà répondu à près de 5 000 questions.

Les chiffres de Zemmour sur les homicides de Noirs et de Blancs aux Etats-Unis sont-ils justes ?

Après les manifestations qui ont suivi l'homicide de George Floyd par des policiers blancs à Minneapolis, aux Etats-Unis, de nombreux commentateurs en France n'ont pas hésité à brandir des chiffres, visant notamment à «relativiser» les accusations de racisme outre-Atlantique. Que ce soit dans la bouche d'Eric Zemmour sur le plateau de CNews, dans un tweet de l'ancien eurodéputé RN Aymeric Chauprade, ou sur de nombreux blogs d'extrême droite, on a pu lire et entendre à de nombreuses reprises que 80 % (ou 81 % selon les versions) des Blancs tués aux Etats-Unis l'étaient par des Noirs, et que les Blancs étaient davantage victimes de la police que les Africains-Américains. «Il est faux de dire que les flics tuent plus les Noirs et que c'est du racisme que les Blancs tuent les Noirs», concluait ainsi Zemmour, après une diatribe pleine de chiffres.

Ces données avaient déjà été partagées par Donald Trump en 2015. Et elles étaient déjà fausses. Même chose aujourd’hui. Si l’on prend les données de 2018, les dernières disponibles, 15,5 % des Blancs tués le sont par des Noirs. Soit cinq fois moins que ce qu’assène l’extrême droite.

Quant au nombre de personnes tuées par la police, il n'est pas formellement faux d'affirmer, comme le font Zemmour et l'extrême droite, que les Blancs sont plus nombreux chaque année à être tués par la police que les Africains-Américains. Mais les chiffres bruts n'ont pas grand sens. Selon la base de données du Washington Post recensant les morts par balle par la police chaque année, si deux fois plus de Blancs (2 416) ont été tués par la police depuis le 1er janvier 2015 que de Noirs (1 265), le rapport s'inverse totalement si l'on regarde en proportion de la population, les Noirs représentant 13 % de la population américaine et les Blancs 76 % (60 % si l'on n'inclut pas les hispaniques). Ainsi, 30 Noirs par million ont été tués par balle par la police, contre 12 Blancs par million.

Enfin, selon la base de données Fatal Encounters, qui recense tous les homicides par la police en s’appuyant sur les données officielles et les articles de presse, plus de 5 000 personnes ont été tuées par la police depuis 2015. Selon une étude menée à partir de ces données, entre 2013 et 2018, les hommes noirs ont 2,5 fois plus de risques d’êtres tués par la police au cours de leur vie que les hommes blancs.

La presse française a-t-elle tort de parler d’«Afro-Américains» ?

Qualifier George Floyd d'«Afro-Américain» revient-il à le ranger dans une «sous-catégorie» d'Américains ? La question a été posée à Libé, où nous utilisons cette expression, mais aussi à Radio France, où la médiatrice a reçu nombre de courriers s'indignant de son utilisation par les journalistes de la station.

D'où vient ce terme, qui désigne l'essentiel de la population noire américaine ayant eu des ancêtres esclaves ? Il a été popularisé par Malcolm X, en 1964, quelques mois avant son assassinat. «On peut difficilement le soupçonner d'avoir ainsi créé une sous-catégorie de personnes noires», souligne Cécile Coquet, maîtresse de conférences en civilisation américaine à l'université de Tours. «Malcolm X avait une vision très internationale des choses. Il a beaucoup voyagé en Afrique, en 1964. En parlant d'Afro-Américains, c'était une manière pour lui d'inscrire les Noirs américains dans un ensemble international, alors que «Negroes» renvoyait les Noirs à une histoire américaine», ajoute Pap Ndiaye, professeur d'histoire à Sciences-Po.

C’est à la fin des années 90 que l’expression évolue et devient «Africain-Américain», par l’intermédiaire de Jesse Jackson, autre militant pour les droits civiques. Un trait d’union sépare d’abord les deux origines, puis est supprimé, pour mettre à égalité, au moins d’un point de vue linguistique, «Africain» et «Américain». Cette formule est encore privilégiée aujourd’hui dans les formulaires de recensement que remplissent les Américains, dans les travaux universitaires.

Quelles différences existe-t-il entre les deux expressions ? «L'utilisation du terme «Afro» marquait un peu trop l'idée d'une hybridation, une certaine forme de «créolisation». La diminution du terme «Africain» en «Afro» mettait aussi en doute le fait que ces gens-là étaient vraiment africains», répond Cécile Coquet.

Pap Ndiaye émet une autre explication pour justifier cette transformation : «Ça pouvait aussi renvoyer à des styles de coiffures afro. De plus, l'utilisation d'un diminutif pour parler des Africains posait problème. En réalité, c'était une manière d'expliciter la référence à l'Afrique, et de lever toute ambiguïté sur ce que cela pouvait signifier.»

Pour autant, l'utilisation, en 2020, de l'expression «Afro-Américain» peut-elle être vue comme problématique ? «Ce n'est pas insultant, c'est juste daté du point de vue des universitaires américains et français qui travaillent sur cette question. Il n'y a aucune charge dans l'expression «Afro-Américain»», estime Cécile Coquet.

«En France, on parle très volontiers d'Afro-Américains. Mais de mon point de vue, ce n'est en rien un vocabulaire de dérision, de moquerie, ou quelque chose d'insultant. A la base, cette expression a une connotation très positive : ce terme a été développé pour souligner un héritage historique, culturel. Il a ensuite légèrement évolué», répond pour sa part Pap Ndiaye.

Un agent noir du FBI a-t-il été arrêté à tort par des policiers blancs ?

La vidéo a été vue des millions de fois ces derniers jours sur les réseaux sociaux. Dans cette séquence, on distingue deux policiers blancs en présence d'un homme noir menotté, arrêté peu avant. «Vous faites du profilage racial, vous partez du principe que je suis quelqu'un que je ne suis pas», explique ce dernier aux forces de l'ordre. Les policiers finissent par extraire de la poche arrière de l'individu un portefeuille. Et après l'avoir consulté, enlèvent les menottes à l'homme noir, qui demande leurs numéros d'identification. En légende de la vidéo, le plus souvent, une phrase indique que l'homme était, en réalité, agent du FBI.

Si la vidéo est bien authentique, cette dernière assertion est fausse, et la vidéo n'a pas été prise au moment des émeutes qui ont suivi la mort de George Floyd. Initialement, les images ont été postées le 31 mai sur un compte Instagram, supprimé depuis. Mais rien n'indiquait alors que l'homme était du FBI. Et l'utilisateur affirmait que cette vidéo avait été prise un an plus tôt, dans le Minnesota. Le 1er juin 2019, la police de Rochester avait en effet publié un communiqué expliquant qu'elle avait cru reconnaître un homme recherché pour agression. Mais que celui-ci n'était pas agent du FBI, contrairement à ce que des rumeurs sur les réseaux affirmaient déjà à l'époque.

Si la personne arrêtée ne s'est pas manifestée depuis, un individu se présentant comme son «ami» a affirmé sur Twitter que son collègue «Atter» était ambulancier, et non agent du FBI. De son côté, l'AFP a retrouvé son compte Facebook. Sur celui-ci, «Atter» se présente comme personnel paramédical de Rochester.

Qu’est-ce que la «garde nationale», déployée aux Etats-Unis ?

Aux Etats-Unis, la garde nationale a été déployée pour venir en aide à la police face aux manifestations (parfois violentes) qui ont suivi la mort de George Floyd. Ces militaires réservistes vêtus de treillis, qui ont le plus souvent un travail à côté, ont aussi été vus ces derniers jours sur les lieux de plusieurs bâtiments historiques afin d’empêcher les manifestants d’y accéder.

Ce n'est pas la première fois, ces dernières années, que la garde nationale, créée dès le XVIIIe siècle pour combattre les Britanniques, est réquisitionnée pour faire face à d'importantes manifestations. En 2014, le gouverneur du Missouri avait déclenché cette force de réservistes pour épauler les policiers de Ferguson, après le meurtre d'un adolescent noir par un policier.

La garde nationale compte, en 2020, près de 450 000 hommes et femmes. Lors de la guerre en Irak, c’est devenu une force pleinement opérationnelle en temps de guerre. Plus de 700 000 gardes ont ainsi été mobilisés en Afghanistan ou en Irak, et 497 y ont péri.

Sur le sol américain, cette réserve de l’armée n’a aucun pouvoir d’arrestation, et les gardes nationaux ne sont autorisés à utiliser leurs armes qu’en cas de légitime défense. En 1970, plusieurs d’entre eux ont pourtant abattu quatre étudiants de l’université de Kent, dans l’Ohio, qui manifestaient contre la guerre au Vietnam.

Après le passage de l’ouragan Katrina, qui avait durement frappé la Louisiane en 2005, plus de 50 000 réservistes avaient également été déployés pour effectuer des missions de recherche ou de secours.

Que sait-on du tournage sauvage impliquant de faux policiers à Paris ?

Dimanche 31 mai, après avoir été alertée par un attroupement devant une supérette du XVarrondissement de Paris, la brigade anticriminalité (BAC) met fin à un tournage sauvage, au cours duquel le vidéaste, qui se fait appeler Hitsu Film sur les réseaux sociaux, suivi par plus 80 000 personnes sur Instagram, mettait en scène trois faux policiers. Dès le lendemain, l'histoire apparaît sur le site Actu17, habitué des informations policières, qui affirme que les faux fonctionnaires, «habillés avec de vraies tenues d'uniforme», participaient à un tournage consistant à «dénoncer le racisme dans la police nationale», directement mise en cause.

Le récit de cette fausse bavure raciste connaît alors un vrai succès sur les réseaux sociaux, où il est relayé par Marine Le Pen et des syndicats de policiers. «Dans le contexte actuel, susciter la haine par des fake news contre les policiers est irresponsable et criminel», commente même la préfecture de police de Paris. Joint par CheckNews, le parquet de Paris indique que les trois faux policiers ont été «placés en garde à vue des chefs d'usage public d'insigne pouvant créer une méprise avec ceux de la police et port d'arme de catégorie D».

Mais le 2 juin, Hitsu Film publie une vidéo pour démentir la version d'Actu17 : il n'a jamais eu l'intention de faire une fausse vidéo contre la police française. En tant qu'homme noir, il a «voulu tourner une vidéo rendant hommage» à George Floyd, tué le 25 mai par un policier blanc aux Etats-Unis. Joint par CheckNews, le réalisateur de 22 ans dit ne pas savoir qu'il fallait une autorisation pour filmer, et affirme que les uniformes lui ont été prêtés par un vrai policier. Il s'était seulement entendu avec la responsable de la supérette, qui confirme que tout s'est passé dans le calme.

Hitsu Film insiste sur le fait que le tournage a eu lieu «un dimanche après-midi, en plein XVarrondissement», et qu'il filmait son «court-métrage» à l'aide d'une véritable caméra, et non d'un simple téléphone portable, ce qui aurait été plus réaliste pour fabriquer un faux. CheckNews a pu consulter plusieurs photos et messages échangés dans le cadre de cette réalisation, qui montrent bien la présence de matériel professionnel. Une conversation envoyée trois jours avant le tournage à l'ensemble des figurants présente également le scénario de sa future vidéo : un homme «vole dans une enseigne quelque chose de minime» et se retrouve, comme George Floyd, «à terre avec deux policiers sur lui, dont un qui a son genou sur son cou». Lors de l'intervention de la BAC, le réalisateur a tenté d'expliquer son projet aux forces de l'ordre, qui ne l'ont pas cru. Ce que confirme un des acteurs placés en garde à vue : «On a voulu expliquer que c'était un hommage à George Floyd, mais ils n'ont pas voulu nous entendre.»