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Libération
Coulisses de Bruxelles

Pendant la crise, les interprètes free-lance de l’UE tirent la langue

par Jean Quatremer, correspondant à Bruxelles (UE)
publié le 7 juin 2020 à 20h16

La crise du coronavirus a permis à la Commission et au Parlement européens de mettre en pratique leur vision de l’Europe sociale. Et c’est du brutal, comme l’expérimentent les interprètes «free-lance» de l’UE employés à la journée. Privés de l’essentiel de leurs revenus pour cause de pandémie, les réunions étant réduites à la portion congrue, ces interprètes ont appelé à l’aide les institutions, qui leur ont opposé une fin de non-recevoir…

Une ingratitude étonnante pour cette armée de l’ombre qui assure plus de 50 % de l’interprétation des réunions européennes à Bruxelles, Luxembourg ou Strasbourg, où jusqu’à 24 langues peuvent être parlées. Comme les 800 interprètes bénéficiant du statut de fonctionnaire ne suffisent pas à la tâche, l’Union a créé une «réserve» de 3 200 freelance, dans laquelle elle puise en fonction des besoins. Sur ce «stock», 1 200 travaillent presque exclusivement pour l’UE et ont été incités à résider à Bruxelles pour pouvoir répondre à leurs besoins.

Autrement dit, ce sont de «faux indépendants» : ils n’ont en réalité qu’un employeur, qui peut user et abuser de sa position de force. Ces interprètes ne sont pas particulièrement malheureux en temps normal, ils gagnent 400 euros net (après impôt) par jour. Particularité : pendant la durée de leur prestation, ils sont soumis aux obligations du statut des fonctionnaires européens et donc à l’impôt et à la sécurité sociale européens. Mais pas au régime de chômage, réservé aux contractuels et agents temporaires. Et comme les interprètes qui résident à Bruxelles ne travaillent que pour l’Union, ils n’ont pas non plus droit au régime de chômage belge.

Le 26 mars, les institutions ont dénoncé, avec le préavis légal de deux mois, les contrats journaliers encore en vigueur. Depuis le 26 mai, plus aucun free-lance ne touche le moindre euro de l'UE. Les interprètes ont tenté de négocier mais se sont heurtés à l'intransigeance de la directrice générale de la Commission en charge de l'interprétation et de la traduction, l'Allemande Florika Fink-Hooijer. Elle leur a proposé 1 300 euros en tout et pour tout pour couvrir jusqu'à cinq mois de chômage, une simple avance. En clair, «avec cette aumône, elle nous a dit d'aller nous faire foutre», résume un interprète.