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Justice

Affaire Epstein : le prince Andrew et la justice américaine en pleine guerre des mots

Affaire Epstein, un scandale américaindossier
Le troisième fils de la reine Elizabeth II s’est engagé dans une bataille de communiqués avec le procureur fédéral qui souhaiterait l’entendre dans le cadre de l’enquête sur le pédocriminel qui s’est suicidé l’année dernière.
Le prince Andrew, le 19 janvier. (Photo Lindsey Parnaby. AFP)
publié le 9 juin 2020 à 18h44

Forcément, il y en un qui ment. Mais lequel ? Le prince ou le procureur ? Le Britannique ou l’Américain ? Depuis quatre mois, la tension monte entre la justice américaine et la famille royale britannique, plus précisément le prince Andrew, troisième enfant de la reine Elizabeth II. Depuis quarante-huit heures, le torchon brûle même franchement, à travers une guerre de communiqués rageurs. Les avocats du prince Andrew ont purement et simplement accusé le ministère américain de la Justice de mentir. Lequel a répliqué immédiatement avec la même accusation.

Le prince Andrew a «décliné à plusieurs reprises notre demande d'organisation d'une audition», a déclaré Geoffrey Berman, le procureur fédéral de Manhattan. Le prince, 60 ans, intéresse la justice américaine dans le cadre de l'enquête sur le pédocriminel et trafiquant sexuel Jeffrey Epstein, qui s'est suicidé en août dans une prison new-yorkaise, avant d'avoir été jugé.

Le prince Andrew a longtemps été un proche de Jeffrey Epstein, l’a beaucoup fréquenté et a séjourné dans plusieurs de ses résidences à de nombreuses reprises. L’une des victimes d’Epstein, Virginia Giuffre, a raconté avoir été forcée à trois reprises à avoir des relations sexuelles avec le prince, alors qu’elle avait 17 ans. Andrew nie catégoriquement ces accusations et a même avancé qu’une photo où il est vu enlaçant l’adolescente pourrait avoir été trafiquée.

Des affirmations contredites

Dans un communiqué, ses avocats ont affirmé que loin de refuser de coopérer avec la justice américaine, le prince avait au contraire offert sa collaboration à trois reprises. Mais Geoffrey Berman, en charge de l'enquête, a balayé lundi soir ces affirmations. «Une fois de plus, le prince Andrew essaye de se faire passer auprès du public comme impatient et disposé à collaborer dans le cadre d'une enquête fédérale criminelle en cours», a-t-il balancé dans un communiqué.

Le problème, c'est que le duc de York «n'a pas parlé aux autorités fédérales, a décliné à plusieurs reprises de planifier une telle audition et, il y a presque quatre mois, nous a informés sans équivoque – par le biais des mêmes avocats auteurs du récent communiqué – qu'il ne se déplacerait pas pour une entrevue de ce type». Si, le même jour, le procureur général, William Barr, a insisté sur le fait qu'il n'était pas question de demander l'extradition vers les Etats-Unis du prince Andrew, Geoffrey Berman a rappelé que s'il est «sérieux quant à sa coopération […], notre porte reste ouverte».

Les avocats du prince Andrew avaient publié lundi un communiqué indiquant qu'alors que «le ministère [américain] de la Justice enquête sur M. Epstein et d'autres cibles depuis plus de seize ans, la première fois qu'ils ont demandé l'aide du duc date du 2 janvier 2020». Les juristes ont souligné également «qu'il est important de rappeler que le ministère de la Justice nous a précisé que le duc n'est pas et n'a jamais été une "cible" dans leur enquête criminelle sur Epstein et qu'il souhaitait une coopération volontaire et confidentielle».

Une attitude jugée peu crédible

A plusieurs reprises dans ce communiqué, le cabinet d'avocats a regretté que le ministère de la Justice ait choisi de «rompre ses propres règles de confidentialité» et affirmé que le prince avait en fait offert «à au moins trois reprises cette année son assistance comme témoin».

Quelqu'un ment ou joue avec les mots. Lundi, le tabloïd The Sun révélait que le ministère américain de la Justice avait déposé une demande formelle d'assistance mutuelle légale (MLA) auprès du ministère britannique de l'Intérieur. Dans le cadre d'une demande de MLA, si le prince Andrew refuse de témoigner volontairement, il pourrait être contraint de se présenter devant un tribunal britannique.

Le prince Andrew s'était retiré complètement de tout rôle officiel dans la famille royale en novembre, quatre jours après une interview calamiteuse sur la BBC, où il était apparu arrogant et totalement dénué d'empathie face au sort des victimes d'Epstein. Andrew avait tenté de minimiser ses liens avec le pédocriminel, avant d'admettre ne pas avoir de regrets de l'avoir fréquenté, «pour la simple raison», avait-il benoîtement expliqué, «que les personnes rencontrées et les opportunités ont été très utiles». Cette interview d'une heure avait provoqué la stupéfaction et sa retraite anticipée avait suivi rapidement. Depuis, le duc n'est presque plus apparu en public.

Gloria Allred, avocate de certaines des victimes d’Epstein, a estimé mardi sur la BBC que l’attitude du prince Andrew suscitait «très peu de crédibilité». Les victimes du trafiquant sexuel «méritent la vérité», a-t-elle déclaré, avant d’ajouter : «Qu’il se présente devant la justice, prête serment et dise la vérité.»