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Libération
Violences policières

Aux Etats-Unis, des premières pistes pour réformer la police

Deux semaines après la mort de George Floyd, et face aux manifestations massives, les initiatives se multiplient, à l'échelle locale et fédérale, pour mettre fin aux violences racistes des forces de l'ordre.
Lors d'une manifestation à Seattle, aux Etats-Unis, le 8 juin. (Photo Lindsey Wasson. Reuters )
publié le 9 juin 2020 à 9h06

Créer un registre national des bavures policières, faciliter les poursuites en justice contre les agents, les obliger à «rendre des comptes», repenser leur recrutement… Le «Justice and Policing Act», une proposition de loi portée par des élus démocrates visant à réformer la police américaine, était présenté lundi au Congrès. Avant de dévoiler leur texte, plusieurs d'entre eux se sont symboliquement agenouillés dans un hall du Capitole à Washington, pendant près de neuf minutes. Le temps que Derek Chauvin, un policier blanc, a plaqué au sol George Floyd et maintenu son genou sur son cou. Asphyxiant cet Afro-Américain de 46 ans, qui n'était pas armé. Depuis sa mort le 25 mai, lors de son interpellation à Minneapolis, des manifestations d'ampleur se sont multipliées dans tout le pays. Demandant que justice soit faite, mais plus largement, appelant à une réforme en profondeur de la police américaine, pour mettre fin à ses pratiques racistes et à son impunité.

1 000 personnes tuées en 2019 par la police

Les forces de l'ordre ont tué plus de 1 000 personnes en 2019 aux Etats-Unis, dont un quart étaient noires, quand les Afro-Américains représentent moins de 13 % de la population. Au cours des quinze dernières années dans le pays, seuls 110 policiers ont été inculpés pour homicide après avoir abattu une personne dans l'exercice de leur fonction. Et seuls cinq d'entre eux ont été condamnés pour meurtre. Protégés par la loi : dans un pays qui compte plus d'armes civiles en circulation que d'habitants, les policiers ont le droit de tirer s'ils ont des «craintes raisonnables de danger imminent» pour eux ou autrui. Protégés par leurs syndicats et des conventions collectives, qui rendent difficiles les poursuites.

La proposition de loi démocrate est une première réponse aux revendications des manifestants, dans le sillage de la mort de Floyd. Notamment en s'attaquant à la règle d'«immunité» dont bénéficient les policiers, mais également aux préjugés raciaux au sein de la police, via des formations obligatoires, ou en créant un registre national des bavures policières. Derek Chauvin, le policier accusé d'avoir tué Floyd, qui comparaissait lundi pour la première fois devant un tribunal de Minneapolis pour meurtre non prémédité, avait déjà fait l'objet de dix-huit plaintes et participé à plusieurs fusillades.

«Police structurellement raciste»

Mais le «Justice and Policing Act» a peu de chances d'aboutir au Sénat, où les républicains sont majoritaires. Et il vise à des changements au niveau fédéral, quand les 18 000 structures policières autonomes (à l'échelon des municipalités, des comtés et des Etats) ont leurs propres règles de recrutement, de formation, ou de fonctionnement au niveau local. Dans les cortèges ces derniers jours, face aux budgets faramineux de ces polices – 115 milliards de dollars par an en cumulant ces entités –, les manifestants appellent même à «cesser de financer la police» («Defund the police» est devenu un nouveau cri de ralliement), et à réinvestir cet argent dans des programmes sociaux qui bénéficieraient aux communautés les plus vulnérables, dont les Afro-Américains.

«Nous diminuons les fonds alloués à nos biens communs depuis au moins quatre décennies – éducation, services sociaux, logement… a rappelé Maurice Moe Mitchell, directeur national du Working Families Party et figure du mouvement Black Lives Matter. Pourquoi serait-il "radical" de vouloir désinvestir de services gouvernementaux qui tuent des Noirs, et d'investir dans ceux qui nous permettent de nous épanouir ?»

Devant l'émotion et les mobilisations, plusieurs villes ou Etats prennent les devants. L'Assemblée de l'Etat de New York a voté lundi l'interdiction de certaines pratiques, comme la manœuvre d'immobilisation «Knee to neck» (genou contre cou). Le maire de New York, Bill de Blasio, a promis de réduire le pharaonique budget de la NYPD (6 milliards de dollars), plus gros service de police du pays. A Los Angeles, le maire Eric Garcetti a pris un engagement comparable. Des parcs, des écoles et des universités à travers le pays ont choisi de rompre leur contrat avec la police. Le conseil municipal de Minneapolis a même émis le vœu de «démanteler» la police de la ville, l'estimant «structurellement raciste», et de réinventer intégralement «un nouveau modèle de sécurité publique» en concertation avec la population. Le maire Jacob Frey a cependant fait savoir qu'il préférait une «réforme structurelle d'ampleur» au démantèlement.

«Le problème auquel est confrontée l'Amérique aujourd'hui n'est pas de ne pas savoir quoi faire, préviennent des experts, professeurs de droit, de criminologie et anciens policiers, dans une longue tribune à The Atlantic. Les forces de l'ordre savent comment créer des systèmes qui empêchent, identifient et répondent aux abus. […] Et à travers le pays, la plupart des agents sont bien intentionnés, reçoivent une bonne formation, et travaillent dans des agences qui ont établi des bonnes pratiques. Mais les connaissances, et les bonnes intentions sont loin d'être suffisantes. […] Ce dont nous avons désespérément besoin, et qui nous a manqué jusqu'ici, c'est la volonté politique. Les élus à tous les niveaux – fédéral, Etats, local – doivent consacrer leur attention et les moyens publics pour changer les cadres légaux, administratifs et sociaux qui contribuent aux mauvais comportements des policiers.»

«Les meilleures forces de l’ordre du monde»

Alors que le pays bouillonne, le président américain Donald Trump a, lui, reçu ce lundi des responsables des forces de l'ordre à la Maison Blanche. Niant l'existence d'un problème systémique au sein des polices américaines : «99,9 % des policiers de cette nation sont des gens très bien», a-t-il déclaré. En campagne pour sa réélection, et à cinq mois du scrutin, Trump conserve sa rhétorique de fermeté et de défense de «la loi et l'ordre», comme il le fait depuis le début des mobilisations à travers le pays. «Nous n'allons pas couper les fonds de la police, nous n'allons pas démanteler la police», a-t-il affirmé, coupant court aux demandes des manifestants. «La gauche radicale démocrate est devenue folle», avait-il écrit un peu plus tôt sur Twitter à ce propos, cherchant à lier ces revendications avec la campagne de Joe Biden, son adversaire démocrate à la présidentielle de novembre, pour l'affaiblir auprès des électeurs modérés ou indépendants. Si l'ancien vice-président de Barack Obama, qui s'est rendu lundi à Houston pour s'entretenir avec la famille de Floyd, s'est dit «favorable à une réforme nécessaire et urgente», il a cependant clairement fait savoir, dans un communiqué lundi, qu'il s'opposait à couper les financements à la police.

Le Procureur général William Barr a assuré vouloir «travailler» avec des représentants de forces de l'ordre pour améliorer la situation et répondre à la «défiance» des Afro-Américains envers la police. Des conseillers du président ont également affirmé que l'administration Trump étudiait des propositions à ce sujet. Mais à l'inverse de son adversaire de novembre, le président n'a pas semblé enclin à vouloir réformer la police. «Elle nous permet de vivre en paix», a-t-il insisté, saluant «les meilleures forces de l'ordre du monde».