Créer un registre national des bavures policières, faciliter les poursuites en justice contre les agents, repenser leur recrutement… Le «Justice in Policing Act», une proposition de loi portée par des élus démocrates visant à réformer la police américaine, était présenté lundi au Congrès. Avant de dévoiler leur texte, plusieurs d’entre eux se sont agenouillés dans un hall du Capitole à Washington, pendant près de neuf minutes. Le temps que Derek Chauvin, un policier blanc, a plaqué au sol George Floyd et maintenu son genou sur son cou, asphyxiant cet Afro-Américain de 46 ans, qui n’était pas armé.
Depuis sa mort le 25 mai, lors de son interpellation à Minneapolis, des manifestations d’ampleur se sont multipliées dans le pays, demandant que justice soit faite mais, plus largement, appelant à une réforme en profondeur de la police américaine, pour mettre fin à ses pratiques racistes et à son impunité.
Sillage. Les forces de l'ordre ont tué plus de 1 000 personnes en 2019 aux Etats-Unis, dont un quart étaient noires, quand les Afro-Américains représentent moins de 13 % de la population. Au cours des quinze dernières années dans le pays, seuls 110 policiers ont été inculpés après avoir abattu une personne dans l'exercice de leurs fonctions. Et seuls 5 ont été condamnés pour meurtre.
Ils sont protégés par la loi : dans un pays qui compte plus d'armes civiles en circulation que d'habitants, les policiers ont le droit de tirer s'ils ont des «craintes raisonnables de danger imminent» pour eux ou autrui. Et protégés par leurs syndicats et des conventions collectives, qui rendent difficiles les poursuites. La proposition de loi démocrate est une première réponse aux revendications des manifestants, dans le sillage de la mort de Floyd. Elle s'attaque à la règle d'«immunité» dont bénéficient les policiers, mais également aux préjugés raciaux au sein de la police, via des formations obligatoires, ou en créant un registre national des bavures policières.
Derek Chauvin, qui a comparu une première fois lundi devant un tribunal de Minneapolis pour le meurtre non prémédité de Floyd, avait déjà fait l’objet de 18 plaintes et participé à plusieurs fusillades. Mais le «Justice in Policing Act» a peu de chances d’aboutir au Sénat, où les républicains sont majoritaires. Le texte ambitionne des changements au niveau fédéral, quand les 18 000 structures policières autonomes (à l’échelon local) ont leurs propres règles de recrutement, de formation, ou de fonctionnement.
«Démanteler». Dans les cortèges ces derniers jours, face aux budgets faramineux de toutes ces polices - 115 milliards de dollars par an -, les manifestants appellent, eux, à «cesser de financer la police» («Defund the police» est devenu un nouveau cri de ralliement) et à réinvestir cet argent dans des programmes qui bénéficieraient aux communautés les plus vulnérables. Le maire de New York, Bill de Blasio, a promis de réduire le pharaonique budget de la NYPD (6 milliards de dollars). Son homologue de Los Angeles, Eric Garcetti, a pris un engagement comparable.
Des parcs, des écoles et des universités à travers le pays ont choisi de rompre leur contrat avec les forces de l'ordre. Le conseil municipal de Minneapolis a même émis le vœu de «démanteler» la police de la ville, l'estimant «structurellement raciste», et de réinventer «un nouveau modèle de sécurité publique» en concertation avec la population. Le maire, Jacob Frey, a fait savoir qu'il préférait une «réforme structurelle d'ampleur» au démantèlement.
«Nous n'allons pas couper les fonds de la police, nous n'allons pas démanteler la police», a répondu Donald Trump lundi, coupant court aux demandes des manifestants. «Cela profiterait aux voleurs et aux violeurs», a-t-il ajouté mardi sur Twitter. «La gauche radicale démocrate est devenue folle», a-t-il également écrit sur le réseau social la veille, cherchant à lier ces revendications avec la campagne de Joe Biden, son adversaire démocrate à la présidentielle de novembre. Si l'ancien vice-président d'Obama s'est dit «favorable à une réforme nécessaire et urgente», il a clairement fait savoir, dans un communiqué, qu'il s'opposait à couper les financements de la police.
En campagne pour sa réélection et à cinq mois du scrutin, Trump conserve sa rhétorique de fermeté et de défense de «la loi et l'ordre», comme il le fait depuis le début des mobilisations. Et nie l'existence d'un problème systémique au sein des polices du pays : «99,9 % des policiers de cette nation sont des gens très bien», a-t-il déclaré, saluant «les meilleures forces de l'ordre du monde».