Toujours présent, mais en retrait. Mohamed Sowan, président du parti Justice et Construction (JCP), proche des Frères musulmans, n’a jamais été député ou ministre, mais il est le seul dirigeant politique dont l’influence est restée intacte depuis 2011. Cet ancien gérant d’hôtel dirige l’unique parti politique structuré du pays. Pourtant, la formation islamiste n’a jamais remporté de scrutin. Lors des premières élections législatives libres de 2012, le JCP arrive loin derrière le mouvement plus modéré de Mahmoud Jibril, mais jouant des alliances avec les élus indépendants, il domine le Congrès général national (CGN). Lors du scrutin de 2014, les partis politiques sont interdits et les élus de la Chambre des représentants (CdR, le nouveau Parlement) lui sont largement défavorables. Qu’importe : ses militants manœuvrent pour discréditer la CdR, qui s’exile à l’Est, provoquant la scission politique de la Libye. Un peu plus tôt, Khalifa Haftar lançait son opération «Dignité» avec, dans sa ligne de mire, les groupes terroristes (Al-Qaeda…) mais aussi le JCP, cheval de Troie de la confrérie, selon le militaire. Malgré tout, Mohamed Sowan place ses hommes dans le gouvernement d’union nationale issu des accords de 2015, signés sous l’égide de l’ONU. Une résilience que son passé de clandestin Frère musulman n’explique qu’en partie. Mohamed Sowan est aussi originaire de Misrata, où il compte des soutiens parmi les groupes armés les plus puissants.
Depuis le 4 juin et le départ des forces de Khalifa Haftar de Tripoli, le gouvernement d’union nationale a avancé jusqu’à Syrte. Votre objectif est-il de récupérer les terminaux pétroliers aux mains de Haftar depuis 2016 ?
Les infrastructures de l’Etat doivent retourner dans le giron du gouvernement d’union nationale, reconnu par la communauté internationale. Mais l’objectif est d’abord la défaite du projet de régime militaire du rebelle Haftar. Nos victoires, c’est aussi l’échec de l’Egypte, des Emirats arabes unis et de l’Arabie Saoudite, l’axe du mal des pays arabes, qui ont toujours refusé la démocratie portée par le Printemps arabe. Mais ces pays ne vont pas abandonner Haftar subitement.
Envisagez-vous de négocier avec Khalifa Haftar, qui demeure incontournable dans l’est et le sud du pays ?
Notre priorité demeure le dialogue avec tous les Libyens, mais Haftar ne doit pas faire partie de l’équation. C’est un criminel de guerre.
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Vous êtes donc partisan d’une guerre totale ?
Non. Nous pensons qu'après ces défaites, ses soutiens en Libye vont se détourner de lui. Dans l'Ouest, c'est une question de semaines, comme le prouve l'actualité [Tarhouna et Bani Walid, deux bastions de Haftar, sont tombés sans résistance le week-end dernier, ndlr]. Dans l'Est, ça prendra plus de temps, mais ses alliances avec les tribus sont fragiles. Leurs positions peuvent changer, selon leurs intérêts. Pour ses alliés internationaux, cela bouge déjà : les Américains ont condamné l'offensive de Haftar et les mercenaires russes de Wagner se retirent du pays. Ces signes montrent que la communauté internationale refuse la solution militaire. La position de la France [qui a aidé militairement l'autoproclamée Armée nationale arabe libyenne de Haftar] évolue aussi.
Pourquoi Tripoli a-t-il rejeté le plan du le 6 juin proposé par Abdel Fatah al-Sissi ?
Les raisons sont multiples. La proposition ne s'appuie pas sur l'Accord politique libyen signé en 2015 sous l'égide de l'ONU, seule base légale pour trouver une solution. L'Egypte est impliquée dans le conflit au côté de l'Est, le pays ne peut être un médiateur neutre. Surtout, le plan égyptien prévoit, selon une déclaration d'Aghila Saleh [le président de la Chambre des représentants], l'exclusion des partis politiques et la dissolution du Haut Conseil suprême [organe législatif de l'Ouest, dirigé par Khaled al-Mishri, membre du JCP]. C'est donc un retour à un régime basé sur les tribus. Nous, nous croyons dans le vote.
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N’est-ce pas parce que vous êtes quasiment le seul parti politique encore en activité ?
Les élections seront l’aboutissement d’une période de transition. Haftar, qui a imposé un régime militaire à l’Est, a forcé les élites politiques à fuir. Si la répression disparaît, des douzaines de partis politiques se formeront. Mais c’est vrai que le fait que le JCP soit encore actif malgré ces années difficiles est salué par beaucoup.
Vous refusez d’affilier le JCP aux Frères musulmans, alors que vous en êtes membre. Cette posture ne fait-elle pas le jeu de vos adversaires qui vous qualifient de terroristes ?
Le parti Justice et Construction accepte tout le monde. Nous ne représentons pas plus de 20 % de la direction du parti. Le fait est que l'Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis ont classé les Frères musulmans comme organisation terroriste. Mais nous croyons dans la démocratie représentative et nous refusons l'idéologie extrémiste de l'Etat islamique ou des madkhalistes, [courant salafiste importé d'Arabie Saoudite], présents en Libye.