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Libération
Récit

Attaque terroriste meurtrière dans une zone frontalière ivoirienne

La Côte d'Ivoire a subi une attaque terroriste jeudi, pour la deuxième fois de son histoire, dans l’extrême nord du pays, à la frontière avec le Burkina. Douze soldats sont morts.
Un soldat ivoirien en 2012 à Abidjan (photo d’illustration). (Photo SIA KAMBOU. AFP)
par Florence Richard, correspondante à Abidjan
publié le 13 juin 2020 à 11h05

«Est-ce que ces hommes armés sont encore ici, proches de nous ou sont-ils enfin loin ?» Bamba Tiemogo ne cesse de s'interroger. Faute de réponse, cet agriculteur ne va plus au champ. Il a cessé toute activité, comme beaucoup d'habitants de Kafolo, cette localité de 2 000 âmes située à l'extrême nord de la Côte d'Ivoire, près de la frontière avec le Burkina Faso, dont il est aussi le chef. «Nous vivons la peur au ventre», dit-il. Dans la nuit du mercredi 11 au jeudi 12 juin, le poste mixte de l'armée et de la gendarmerie de la ville a été attaqué par des hommes armés. «Nous avons été réveillés par des détonations vers 3 heures du matin. Nous sommes restés terrés chez nous, apeurés, avant de sortir timidement en fin de matinée», raconte Bamba Tiemogo au téléphone, soulagé d'avoir vu des renforts de l'armée ivoirienne débarquer depuis.

Le bilan provisoire de cette attaque qui n'a pas été revendiquée, qualifiée de «terroriste» par le ministre de la Défense Hamed Bakayoko, fait état d'une dizaine de morts, de six blessés et d'un assaillant «neutralisé». Il s'agit de la première attaque d'envergure dans cette zone frontalière. «Les enquêtes sont en cours pour en déterminer la nature, les circonstances et le bilan définitif», a indiqué le général Lassina Doumbia, chef d'état-major des armées. Le dernier attentat terroriste sur le sol ivoirien remontait à 2016, à Grand-Bassam. Il avait visé des civils présents sur une plage de cette station balnéaire et avait été revendiqué par Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI).

Zone rouge

«Ce qui est arrivé à Kafolo n'a rien de spontané. C'était mûrement réfléchi et exécuté. Tout était bien planifié», estime Lassina Diarra, spécialiste ivoirien des mouvements terroristes en Afrique de l'ouest et fin connaisseur de cette zone frontalière où, précise-t-il, «depuis deux ans, on signale la présence ponctuelle de certains individus armés qui se revendiquent de la Katiba Macina d'Amadou Koufa». C'est cette cellule terroriste qui, en mai, a été visée par une opération conjointe menée par les armées ivoirienne et burkinabée, baptisée «Comoé» - du nom du fleuve qui sépare à cet endroit les deux pays. Bilan officiel : huit jihadistes présumés tués, 38 suspects interpellés et une base détruite. «La zone est sous contrôle», avait alors assuré l'armée ivoirienne. Le ministère français des Affaires étrangères a classé en zone rouge le grand parc ivoirien du Comoé dès décembre 2019.

«Tout le monde se doutait que les jihadistes allaient vouloir répondre et montrer qu'ils sont encore présents dans la zone. Je pense que logiquement c'est ce qui s'est passé», explique le chercheur ivoirien Arthur Danga, enseignant à l'université Félix-Houphouët-Boigny à Abidjan, spécialiste des questions de défense, dans une interview accordée à RFI. Pour Lassina Diarra, l'opération Comoé n'a en réalité fait que précipiter les choses. «Les individus de la katiba Macina étaient dans une logique de reconnaissance du terrain avant d'entrer en action. Quoi qu'il en soit, ils auraient attaqué, on devait s'y attendre.» Combien sont-ils ? Difficile de le dire. Entre une vingtaine et une soixantaine d'hommes selon les sources.

Menace jihadiste accrue

«Vous allez voir, dans les jours qui viennent, la réponse sera à la hauteur de cette attaque», a promis Hamed Bakayoko alors qu'il accueillait jeudi les blessés sur le tarmac de la base aérienne d'Abidjan. «Il faut une réponse robuste, courageuse et ferme mais il faut aussi raison garder», tempère Lassina Diarra. Ce spécialiste prône une approche didactique face à cette poussée de la menace jihadiste vers les pays du golfe de Guinée : «Il faut étudier ces groupes, comprendre comment ils évoluent, qui sont les chefs, comment les neutraliser avant de lancer une opération. La configuration de la menace terroriste a fondamentalement changé ces dernières années. Il n'est plus question d'attentats contre des cibles occidentales ou contre les élites nationales. Ces groupes sont dans une dimension de conquête territoriale et prêts à affronter les armées nationales».

Alors que la Côte d'Ivoire s'apprête à rentrer en campagne électorale - le premier tour de l'élection présidentielle est prévu le 31 octobre -, cette menace jihadiste accrue doit impérativement mener à une politique de sensibilisation, estime Arthur Banga. «Il faut se préparer en conséquence, en travaillant déjà sur des projets de déradicalisation, de lutte contre la radicalisation, mais aussi de lutte contre les inégalités et les injustices sociales». En attendant, Kafolo reste figé par la menace. «Nous avons peur qu'ils reviennent», souffle Bamba Tiemogo.