Cette semaine, le parlement tunisien s'est figé de longues heures, le parti Al Karama ayant imposé un retour vers le passé : la colonisation. Seifeddine Makhlouf, leur patron, réclame des excuses à la France dans la lignée de ce qu'il soutient depuis des mois : le pays s'est fait plumer ses ressources des décennies durant, le pillage continue à la faveur de contrats opaques et des crimes ont été pérpétrés pendant et après le protectorat.
Du boucan sans le début d'un projet
Motion rejetée. Ses détracteurs accusent l'avocat, conservateur, populiste et gouailleur, de fabriquer du boucan pour la forme sans le début d'un projet. Et surtout, pour sa pomme – sa voix et sa trombine sont partout.
Le site Tunisie Numérique a mis en ligne un micro-trottoir, lequel sonde la rue concernant ce débat. L'échantillon est maigre (c'est l'exercice), mais raconte en filigrane deux histoires. D'abord celle d'une population menotée par les problèmes économiques (chômage et inflation au galop), lesquels lui inspirent la formule résignée du type «ce n'est pas le moment de réfléchir à autre chose que le boulot et le ventre». Ensuite, celle d'un patriotisme égratigné par le réalisme : la Tunisie, aussi fière soit-elle, regarde encore vers la France, partenaire commercial précieux et débiteur privilégié. Ses gamins ne font pas autre chose : ils se projettent là-bas lorsqu'ils envisagent l'exil. Comme leurs aînés.
«On a juste besoin d'argent»
Sur zone, il n’est pas rare que certains ramènent cette problématique à une échelle nationale : ne faut-il pas juger prioritairement les spoliateurs locaux avant de remonter le temps aussi loin et de solder les comptes et les crimes du protectorat ? La corruption perdure, des formes de torture aussi et des victimes des dictatures post-indépendance de Habib Bourguiba et de Zine-el-Abidine Ben Ali attendent encore excuses et réparations.
Les solutions, en haut, manquent pour améliorer la routine qui fauche en bas. Dans le centre, sept personnes sont récemment décédées après avoir enquillé de l'alcool frelaté à base d'eau de cologne. Les habitants de la commune endeuillée pointent du doigt un coupable : la misère.
Il y a un an, on avait croisé ce chauffeur de taxi, quarantaine très grisonnante, qui justifiait avec vigueur son désintérêt de l'histoire lointaine et récente. En substance : se plonger dans le passé, et le faire avec soin, est un luxe que n'ont pas les petites gens embourbées dans les galères du présent. «Là, maintenant, je me demande juste comment je vais payer du lait pour mon petit. Ma torture, c'est ça.»
Une étudiante en biologie, issue du nord-ouest précaire, nous confessait ses tiraillements. Elle a voté Kaïs Saïed, le président qui, pour se faire élire, a envoyé paître tous les partis. «Il représente l'idée qui se rapproche le plus de la justice et de la droiture.» Et quoi ? Elle décrit son choix comme un caprice : «Karoui [son concurrent] ne pense qu'à l'argent. Et il en aurait ramené beaucoup plus que Saïed. La vérité, c'est qu'il fallait malheureusement choisir l'autre. C'est triste, mais pour l'instant, on a juste besoin d'argent dans beaucoup de familles. La justice viendra après.»