Haro sur le saumon en Chine. Le poisson a été retiré ce week-end des supermarchés et effacé des menus des restaurants, victime du vent de panique qui souffle dans la capitale chinoise après l'annonce de 36 nouveaux cas de Covid-19 en trois jours, tous liés au grand marché alimentaire de Xinfadi, situé dans le sud de la capitale. Une mauvaise nouvelle qui réveille la crainte d'une «deuxième vague» dans le pays de 1,4 milliard d'habitants.
Pékin avait été relativement épargné par l'épidémie de coronavirus apparue en décembre à Wuhan. Selon les chiffres officiels, la capitale, où des mesures drastiques de précaution avaient été prises, n'a déploré que 463 cas et neuf morts, contre 89 720 cas et 4 634 morts en Chine. Or le marché de Xinfadi n'a rien à voir avec celui de Wuhan, premier épicentre de l'épidémie en Chine en décembre.
Xinfadi est à Pékin ce que Rungis est à l’Ile-de-France. Selon les chiffres donnés en 2016 par les chercheurs Jan Douwe van der Ploeg et Jingzhong Ye (1), le marché fournit chaque jour aux 20 millions d’habitants de la capitale 32 tonnes de légumes et de fruits. En tout, 80% des fruits, légumes, viandes, volailles et poissons qui se trouvent sur la table des Pékinois transitent par Xinfadi. Plateforme stratégique, où environ 3 000 petites entreprises de négoce acheminent des produits frais depuis toute la Chine, le site s’étend sur 121 hectares, le double en comptant les hôtels, restaurants et autres infrastructures satellites. Selon Pang Xinghuo, directrice adjointe du Centre de prévention et de contrôle des maladies de Beijing citée par l’agence de presse officielle chinoise, la majorité des malades détectés ont travaillé à Xinfadi, et 9 y ont été directement ou indirectement exposés.
«Temps de guerre»
Depuis cinquante-cinq jours, pas un seul cas de contamination locale au Covid-19 n'avait été enregistré dans la capitale. C'est donc peu dire que le risque de voir Pékin devenir un nouvel épicentre chinois inquiète les autorités. Contrairement au mois de janvier, où le flou régnait face à ce virus inconnu, la réponse des autorités est massive, digne d'un «temps de guerre», selon les termes officiels.
Dès l'annonce du premier cas pékinois, repéré jeudi, des centaines de policiers et paramilitaires ont été déployés près du marché, qui a été fermé et est en cours de désinfection. Les autorités sanitaires ont ordonné l'inspection de tous les entrepôts et commerces en contact avec de la viande et du poisson dans la capitale, et cinq autres marchés importants ont été fermés. Les hôpitaux ont reçu l'ordre de soumettre à une batterie de tests tous les patients fiévreux. Onze quartiers résidentiels ont été confinés samedi, et neuf écoles fermées. Tous les événements sportifs ont été suspendus, les lieux culturels fermés et, selon Zhulin Zhang, journaliste pour Courrier International, les voyageurs en provenance de Pékin sont désormais soumis à une quarantaine dans certaines régions de Chine. Deux autres cas en provenance de Xinfadi ont également été repérés dans la province de Liaoning, dans le nord-est du pays.
Depuis vendredi, au moins 2 000 employés de Xinfadi ont été testés, ce qui a fait grimper le bilan de 7 à 38 cas confirmés entre samedi et dimanche. L'objectif des autorités est de tester à grande échelle toutes les personnes qui ont fréquenté le marché depuis le 30 mai. Une opération qui sera facilitée par les moyens high-tech mis en place par le régime communiste pour tracer ses citoyens.
Vent de panique sur le saumon
En attendant d'en savoir plus, l'information selon laquelle le coronavirus a été identifié sur un billot servant à découper du «saumon importé» s'est répandue à la vitesse de la lumière, forçant les magasins Carrefour ou Wumart à retirer le poisson de leurs rayons et vidant de leurs clients les restaurants à sushis. Selon le site Salmonbusiness.com, des vols acheminant du saumon depuis les régions de production (Ecosse, Norvège, Chili, Canada, Russie…) ont été suspendus.
Une panique qui semble sans fondement scientifique. «Nous ne pouvons pas conclure que le saumon est la source d'infection simplement parce que le coronavirus a été détecté sur la planche à découper d'un vendeur. Les hôtes connus du Covid sont des mammifères. Il est presque impossible pour un poisson d'être infecté», affirme Cheng Gong, virologue à l'Université Tsinghua, sur le site de CGTN, la télévision officielle. Dans le même article, en anglais, Zhong Kai, expert de l'Association chinoise de médecine préventive, précise que, s'il est en théorie possible que le virus survive sur la peau d'un saumon pendant plusieurs heures pendant son transport à basse température, «la probabilité est en réalité très faible». Selon les experts chinois, qui cherchent à identifier la source de cette nouvelle chaîne de contamination, la planche aurait plutôt été manipulée par un porteur du virus, ou été en contact avec des produits contaminés.
Rayons frais vidés
Alors que la Chine se débat avec les conséquences économiques de la crise sanitaire, et vante autour du monde sa gestion de la crise sanitaire, la découverte d'une nouvelle source de contaminations sur le territoire est rude. Même si le négoce de fruits et légumes de Xinfada a été maintenu non loin pour ne pas affamer la capitale, des photos de rayons frais totalement vides et des vidéos d'employés jetant par précaution des tonnes de nourriture circulent sur les réseaux sociaux.
Par ailleurs, le pays continue à se barricader de peur de nouvelles contaminations venant de l'étranger, en grande majorité des Chinois rentrant au pays, et les vols internationaux sont toujours limités. Jeudi, une quinzaine de cas importés de Covid-19 ont été détectés dans un vol en provenance du Bangladesh sur une compagnie chinoise, et la liaison Dacca-Canton a été suspendue. Six mois après son apparition, l'épidémie de coronavirus a déjà causé au moins 425 000 morts dans 196 pays et continue ses ravages, notamment au Brésil ou en Inde.
(1) «China's Peasant Agriculture and Rural Society»: Changing paradigms of farming, Routledge, 2016
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