«Goaaaaaaaaaaaaaaaaal !» La foule de supporteurs est virtuelle, rassemblée non dans un stade mais aux quatre coins du Royaume-Uni. L'explosion de joie, de soulagement et de fierté touche un public bien plus large, y compris parmi ceux qui détestent le football. «Je ne sais même pas quoi dire. Regardez ce que l'on peut faire lorsqu'on se rassemble. CECI est l'Angleterre en 2020», a tweeté Marcus Rashford mardi en début d'après-midi. Le jeune attaquant peut brandir avec fierté son trophée, «un trophée bien plus important que tous les trophées de football», selon ses propres mots, celui du «combat contre la pauvreté infantile».
Après moins de 48 heures de campagne, le joueur de l'équipe d'Angleterre et de Manchester United a contraint le gouvernement britannique, qui avait prévu d'arrêter de servir des repas gratuits aux écoliers pauvres durant les vacances d'été, à un rétropédalage humiliant. Après avoir refusé avec obstination de changer sa politique, le Premier ministre, Boris Johnson, a fini par céder à la pression lancée par le footballeur de 22 ans et relayée par de nombreux députés, dont beaucoup de son propre camp. Il a dégagé une enveloppe de 120 millions de livres (134,5 millions d'euros) pour financer la distribution de repas scolaires gratuits aux familles démunies pendant tout l'été dans le cadre «des circonstances extraordinaires de la pandémie de Covid-19».
Jusqu'à mardi, Rashford était surtout connu pour son agilité sur un terrain de foot, pour son but fatal, un penalty qui, en mars 2019 au Parc des Princes, avait sorti le PSG en huitième de finale de la Ligue des champions. Depuis lundi, il est devenu le champion des plus démunis. Simplement. En racontant sa vie, en partageant son expérience, en appelant chacun à se mettre à la place des autres, de ceux qui n'ont pas eu de chance. «Je sais ce qu'on ressent lorsqu'on a faim», a-t-il écrit dans une lettre ouverte aux députés de la Chambre des communes. Sans pathos, il dit la difficulté de grandir dans une famille de la banlieue de Manchester, au milieu de quatre frères et sœurs et avec juste sa mère pour nourrir la famille. Il raconte aussi ses camarades dont les parents l'invitaient à dîner, «pour être sûrs que j'aurais droit à au moins un repas décent par jour». «C'est ma communauté, celle qui a façonné le Marcus Rashford que vous connaissez aujourd'hui, un joueur international pour l'équipe d'Angleterre.» Il se souvient de la fréquentation des banques alimentaires, de ces repas scolaires gratuits qui, parfois, faisaient toute la différence.
Depuis le début de la pandémie, il s’était déjà impliqué dans une organisation caritative, FareShare, avec laquelle il a levé plus de 20 millions de livres pour fournir des repas à des enfants défavorisés. Au Royaume-Uni, 1,3 million d’enfants de milieux démunis, soit 15,4 % des enfants scolarisés dans le public, ont droit à des repas scolaires gratuits. Plusieurs voix s’étaient déjà levées pour demander au gouvernement la prolongation du programme pendant l’été. En vain. Rashford et Johnson ont exactement le même nombre de followers sur Twitter, 2,8 millions. Cette fois, la puissance de frappe était du côté du joueur.