Donald Trump s'est livré, ce mardi midi depuis la Roseraie de la Maison Blanche, à un grand-écart rhétorique, dans un pays toujours à vif trois semaines après la mort de George Floyd, asphyxié par un policier blanc à Minneapolis. Donner des gages (timides) aux familles endeuillées par les forces de l'ordre et aux manifestants qui continuent à descendre dans la rue pour dénoncer le racisme et les brutalités policières, mais surtout rassurer les agents pour conserver leur soutien.
Avec sa défense de la police, de la «Loi et l'ordre» et de la «majorité silencieuse», sorte de mauvais remake nixonien qui l'occupe depuis la mort de Floyd, Trump veut, à cinq mois de la présidentielle, contenter l'électorat républicain, pour qui la police constitue la deuxième institution en qui ils ont le plus confiance, juste après l'armée (et devant les universités et les tribunaux). Plusieurs gros syndicats policiers soutiennent également la campagne du président américain pour sa réélection.
President Trump: "Americans want law and order. They demand law and order. They may not say it. They may not be talking about it, but that's what they want. Some of them don't even know that's what they want, but that's what they want." pic.twitter.com/mPX68Sbh0U
— The Hill (@thehill) June 16, 2020
Bien en-deçà des revendications des manifestants, et face à une mobilisation historique, à nouveau nourrie ce week-end par la mort à Atlanta d'un autre Afro-Américain tué par un policier blanc, le président américain a signé mardi un décret qu'il a qualifié d'«historique» pour «réformer» les forces de l'ordre.
Sa portée reste toutefois très limitée. Le texte inclut l'interdiction des prises controversées d'étranglement, sauf «si la vie d'un policier est en danger», a précisé le président américain. Il «encourage» les milliers d'unités de police américaines à adopter les «normes professionnelles les plus élevées», a-t-il ajouté depuis la Maison Blanche, après avoir rencontré des familles de victimes de violences policières ou racistes. Des «familles incroyables qui ont tant souffert», selon Trump, qui a affirmé que leurs proches «ne seront pas morts pour rien», et a promis de se «battre pour la justice» et pour «la paix, la dignité et l'égalité». Mais la mise en scène ne trompe pas : autour du président lors de la signature du décret, pour la photo officielle, aucune famille de victimes, seulement des représentants des forces de l'ordre.
A contre-courant
Donald Trump a salué le travail de la police, «l'un des métiers les plus dangereux et les plus difficiles au monde», a-t-il affirmé, rappelant que «rien que l'an dernier, 89 agents sont morts en service». «Nous leur devons le plus grand respect», a-t-il insisté.
Il a omis de préciser qu'environ 1 000 personnes meurent chaque année aux mains de la police américaine. S'il n'existe pas de statistiques fédérales et officielles sur le nombre d'homicides par les forces de l'ordre, plusieurs médias et organisations tiennent à jour une comptabilité. Ces bases de données montrent que les Noirs sont deux fois et demie plus susceptibles que les Blancs d’être tués par la police, alors qu’ils ne représentent que 13% de la population.
Trump a également balayé la demande des manifestants de réallouer une partie des fonds, titanesques, qui financent les polices américaines, pour abonder des programmes sociaux. Des «idées radicales» et dangereuses, selon lui. «Sans la sécurité, c'est la catastrophe», a-t-il affirmé.
A contre-courant de la dénonciation du racisme systémique au sein de la police, le président américain continue de singulariser les comportements des agents meurtriers : «les mauvais policiers représentent un tout petit pourcentage» des forces de l'ordre, a-t-il avancé.
Dans un communiqué, l'un des principaux syndicats de policiers, le National Fraternal Order of Police, a salué un décret permettant de «trouver l'équilibre entre le besoin vital pour la sécurité du public et des agents, et celui, tout aussi important, pour une réforme de la police durable, significative et applicable.»
Lors de son discours mardi, Trump ne s'est pas gêné pour mettre le débat sur le terrain politique, l'échéance de novembre bien en tête : «Le président Obama et le vice-président Biden [son opposant démocrate à la présidentielle, ndlr], n'ont même jamais essayé de réformer [la police] en huit ans au pouvoir», a-t-il affirmé. Une déclaration vite démentie par le camp d'en face, qui a notamment rappelé les travaux de la «Task Force on 21st Century Policing» mise en place par Obama en 2014, dans le sillage de la mort de Michael Brown à Ferguson, et de la colère qui avait suivi.
Mais le candidat démocrate à la présidentielle marche lui aussi sur un étroite ligne de crête, ne soutenant pas la demande des manifestants de «couper les vivres à la police». Dans un courrier qui a été adressé lundi à Joe Biden, une cinquantaine d'organisations progressistes a critiqué sa réponse aux revendications : «Vous ne pourrez emporter l'élection sans le soutien enthousiaste des électeurs noirs, et vos positions dans ce moment de crise joueront un grand rôle pour déterminer comment les électeurs noirs, et tous ceux qui se préoccupent de justice raciale, répondent à votre candidature», écrivent-ils.
«Immunité qualifiée»
Au-delà de son décret, Donald Trump a renvoyé la balle au Congrès, où démocrates et républicains négocient en ce moment une réforme des forces de l'ordre. Les démocrates, qui contrôlent la Chambre des représentants, ont déposé il y a une semaine un texte de loi qui s’attaque, entre autres, à la large immunité dont jouissent les policiers et interdirait les prises d’étranglement.
Aux Etats-Unis, les condamnations de policiers pour homicide sont rarissimes. Dans un pays qui compte plus d'armes civiles en circulation que d'habitants, les policiers ont le droit de tirer s'ils ont des «craintes raisonnables de danger imminent» pour eux ou autrui. Ils sont protégés par la règle de l'«immunité qualifiée», qui empêche de poursuivre des officiers de police pour des actions dans l'exercice de leurs fonctions, et par des conventions collectives, négociées par leurs puissants syndicats, qui entravent les poursuites.
Examen de conscience
Le texte porté par les élus démocrates pourrait être adopté dès la semaine prochaine à la chambre basse, mais il est très peu probable qu’il passe en l’état l’étape du Sénat, à majorité républicaine, ou soit promulgué ensuite par Donald Trump. Le seul sénateur républicain noir, Tim Scott, compte de son côté présenter un projet de loi cette semaine.
Bien au-delà de la police, le pays se livre aujourd'hui à un examen de conscience de son racisme, cinquante-cinq ans après la fin de la ségrégation. Une remise en cause profonde de son histoire, qui a, entre autres, conduit plusieurs localités à déboulonner des statues de généraux confédérés. Les manifestants appellent au retrait de nombreux monuments ou plaques commémoratives liés au sombre passé colonial ou esclavagiste du pays. Dans son discours, Donald Trump n'a pas manqué de rappeler sa position à ce sujet : «Nous devons bâtir sur notre héritage, pas le détruire.»